Élitisme et intimidation dans l’école Steiner de Solvikskolan

Un documentaire en trois parties diffusées courant mai sur la chaîne suédoise SVT a eu des répercussions importantes dans le pays. Intitulé « Les enfants élus » il avait pour sujet l’école Waldorf Steiner de Solvikskolan.

Son réalisateur Jesper Lake a été l’un des premiers élèves à être scolarisé dans cette école en 1984. Il garde un bon souvenir de sa scolarité. Mais lorsqu’il a créé un groupe Facebook pour solliciter les anciens élèves il a réalisé que tous n’avaient pas eu le même vécu, beaucoup faisant part de sombres souvenirs. Comme ils n’avaient jamais eu l’occasion d’être entendus depuis 40 ans, le réalisateur leur a donné l’occasion d’exprimer leur besoin de réparation.

L’école de Solvikskolan, fondée en 1980, occupe une place particulière parmi les écoles Waldorf de Suède. Si elle n’a rejoint la fédération que dans les années 2000, elle en avait adopté dès le départ la pédagogie.

La pédagogie Steiner est basée sur la pensée de Rudolf Steiner, fondateur de l’Anthroposophie, qui considérait que l’âge de l’enfant conditionne les matières à enseigner. Ainsi avant l’âge de sept ans aucune connaissance académique n’est enseignée et l’apprentissage se fait à l’oral (ce qui peut rendre difficile l’intégration dans un système pédagogique classique). Durant la scolarité l’accent est mis sur les activités créatives, la liberté de l’enfant et son autonomie. Il n’y a pas de notes.

Mais cela peut être lourd de conséquences pour certains élèves.

Des lacunes dans les apprentissages

Jasper Lake était l’un des élèves appréciés des enseignants. Néanmoins, lorsqu’il a voulu intégrer un cursus classique la chute a été dure car il s’est rendu compte qu’il n’avait jamais appris à étudier à Solvikskolan.

L’une des anciennes élèves, Vendela, raconte dans le documentaire n’avoir lu aucun livre durant ses neuf années de scolarité, tandis que Nemi, un autre ancien élève, n’avait pas compris qu’il avait des lacunes jusqu’à ce qu’il commence à postuler pour des études, et se rende compte qu’il éprouvait des difficultés pour écrire.

Élitisme et karma

La pédagogie Steiner devrait permettre aux enfants de se développer sereinement, pourtant certains se plaignent d’une pression et d’un stress extrêmes parce qu’ils n’appartenaient pas aux « élus », ceux qui pouvaient « peindre, chanter et bouger à merveille ou oser sauter de grandes hauteurs ». Ceux qui n’étaient pas à la hauteur de ces idéaux pensaient ne rien valoir et étaient brimés par les enseignants

Mais ce qu’ignoraient les élèves, c’est le classement dont ils étaient l’objet en début de scolarité. Ils étaient classés en « quatre tempéraments » selon la « doctrine de la personnalité » conçue par Steiner : « flegmatique », « sanguin », « colérique » ou « mélancolique ». Une fois catalogué dans l’une d’entre elle, il était impossible d’en sortir jusqu’à la fin de la scolarité. « C’était comme si, aux yeux des enseignants, nous avions tort sans rien pouvoir y faire », se souvient l’un des élèves de Solvikskolan.

Lorsque Merete Lövlie, fondatrice et ancienne enseignante de Solvik, a osé remettre en question ces pensées, en avançant que l’école devrait être pour tout le monde, elle a été considérée avec mépris comme quelqu’un qui « n’avait pas vraiment compris »…

Les élèves étaient également traités sur la base des idées anthroposophiques sur le karma et la réincarnation, qui postulent que les évènements qui arrivent dans cette vie sont liés au passé et ne doivent pas être empêchés. Ainsi l’un des témoins, Josef, se souvient qu’en raison du karma, les plus forts prenaient le commandement et beaucoup de violences n’étaient pas canalisées. Nemi a souffert de cette violence, si bien qu’il lui est arrivé de se cacher pendant plusieurs jours d’affilé dans les bois pour attendre en sécurité la fin de la journée d’école.

Dans le passé, plusieurs enfants s’étaient grièvement blessés à l’école en tombant de grandes hauteurs, mais grimper n’était pas interdit en raison du karma. Si quelqu’un tombait, on estimait que cela cadrait avec son karma.

« Dans cette école, la soi-disant liberté a conduit les enfants présentant certaines caractéristiques à être idéalisés et positivement discriminés et d’autres enfants à être exposés à de très graves brimades de la part des autres élèves et des enseignants. »

La culture du silence

Les enfants brimés pensaient être seuls dans leur situation. La culture du silence qui régnait à l’école rendait tout le monde aveugle à l’inconduite de certains et tous se défendaient les uns les autres.

Ainsi lorsqu’un élève de dix ans victime de brimades a dénoncé un enseignant pour violence physique, Solvikskolan a emmené tous les autres élèves dans un bus jusqu’au tribunal de district de Södertälje pour soutenir l’auteur des faits. L’enfant de dix ans s’est retrouvé seul contre toute son école et l’auteur des brimades a été acquitté.

La critique du système scolaire conventionnel

Les anciens élèves rapportent aussi des critiques du système scolaire qui les enfermaient dans la peur d’y aller.

Erik Norrlin, l’un des anciens enseignants et fondateurs de l’école, explique dans le documentaire que l’école publique est une perte de vie en général, perte de temps à marcher dans les couloirs par exemple. Pour lui, l’école devait permettre aux élèves de rechercher eux-mêmes la connaissance. A Solvikskolan « il n’y avait pas de programme mais un chaos, un chaos créatif. »

Pär Ahlbom, lui aussi enseignant et fondateur et aujourd’hui mentor de certains enseignants, considère ce qu’il a appris à l’école publique comme de la « merde complète ». Pour lui, « les enfants ne doivent pas vivre dans une vie pauvre et apprendre à être des pauvres ». « Ils ne doivent pas s’adapter à la société, ils doivent changer la société. »

Épilogue

Suite à la diffusion du documentaire, le réalisateur Jasper Lake a déclaré dans la presse qu’il aurait voulu interviewer plus de responsables de l’école, mais qu’ils se « cachaient ».

Peter Friemann, directeur actuel de l’école, a affirmé prendre au sérieux les témoignages des anciens élèves de l’école, ajoutant qu’il « ne peut exclure que ces pensées soient toujours vivantes aujourd’hui ». « Beaucoup d’enseignants à l’école sont des anthroposophes qui se soucient beaucoup de ce que Steiner pensait ».

Quant à l’ancien professeur, Erik Norrlin, il avoue que « ces témoignages confirment ce qu’il avait déjà évité de penser ». « Ce qu’il savait être vrai mais qu’il ne voulait pas admettre ».

Enfin, une évaluation aurait été lancé par l’Inspection suédoise des écoles. 

(Sources : Läraren, 06.05.2021 & 07.05.2021, skolvarlden, 07.05.2021, aftonbladet, 18.05.2021 Expressen 26.05.2021, SVT, 21.05.2021)

  • Auteur : Unadfi