Congo et RDC / Enfants sorciers

Tout le monde, au Congo et en RDC (République démocratique du Congo), croit en la sorcellerie. Mais l’accusation contre les enfants est un phénomène plus récent lié à une naissance non voulue, à un inceste, à un comportement difficile ou pour se débarrasser d’une bouche à nourrir « dans les familles épuisées par la misère ».

Tout comportement ou toute manifestation incomprise de l’enfant entraîne l’accusation : épilepsie, handicap, maturité précoce… Une procédure leur est réservée.

Entre tradi-praticiens et pasteurs, la frontière est mince. Les instances traditionnelles sont elles-mêmes dépassées par les Églises du Réveil, installées dans les années 90, à la fin du régime marxiste. Josué Nlemvo Ntelo, coordinateur de l’Association espace enfants, explique que les pasteurs de ces églises, qu’il qualifie de « marchands d’illusion », sont ceux qui accusent et stigmatisent ces enfants pour ensuite facturer la « délivrance » et la « cure d’âme ». Facture qui peut s’élever à plus de 300€ alors que le salaire moyen tourne autour de 76€.

A Brazzaville, un pasteur, Bertrand, est expert en sorcellerie. Sur les 19 enfants qu’il héberge, sept ne retourneront jamais chez eux. Il prétexte que « les parents ne sauraient pas comment réagir » : « Il faut être protégé car, quand on chasse un esprit d’un corps, il s’installe dans un autre ». Ces enfants sont plutôt des filles, qui font la cuisine et qui animent les cérémonies. Un foulard ceint autour de la tête, « elles se balancent, hypnotisées au son des prières ». Le pasteur invite à « contribuer » : « On ne vient pas dans la maison de l’Eternel les mains vides ». Le père de Lucie, 8 ans, oblige sa fille à raconter : « Je suis une sorcière ». Elle explique que ce sont ses grands-parents qui l’ont initiée : « Ils m’ont donné la nourriture nocturne et menée au cimetière. Ma mission était de tuer papa et maman. » On lui demande si elle a tué dans le « deuxième monde », elle répond que oui, « beaucoup de gens ».

Joseph Likibi, du Réseau d’intervenants sur le phénomène des enfants de la rue, est en colère : « Ces aveux sont extorqués, les enfants sont conditionnés ! Ces pasteurs profitent de la détresse. »

Selon Taty Kuketuka, anthropologue à l’Université de Kinshasa, l’arrivée d’une nouvelle tribu pour laquelle la « sorcellerie commence dès l’enfance » explique le phénomène des enfants de rue. Ce fléau, évalué à 30 000 cas par l’Unicef, progresse : on recense entre 2 000 et 3 000 nouveaux cas par mois. La plupart est accusée de sorcellerie.

Vicky a 17 ans. Elle se rappelle avoir été chez le pasteur : « Il m’a fait manger un verre de sel à chaque repas. Il pilait aussi du [piment], mélangeait avec de l’eau et mettait ça dans les yeux, les oreilles et le nez ». Elle a fui, rencontré un autre pasteur qui lui a promis de la guérir. « En la violant. » Affamée, dénudée, battue, « opérée » pour ôter le « germe de la sorcellerie, brûlée à la cire sur les organes génitaux ».
Dans une église, des enfants accusés de sorcellerie attendent d’être guéris. Un pasteur, Papa Andinga, aidé de Maman Thérèse, asperge les enfants d’un liquide. « Au nom de Jésus, je te chasse de ce corps ! »

Pourtant, depuis 2009, une loi sur la protection de l’enfant a été votée : « selon les articles 160 et 161, celui qui accuse de sorcellerie est passible d’un à trois de prison et d’une amende de 200 000 à 1 million de francs congolais. Nous avons aussi créé des tribunaux congolais » explique Gauthier Luyela Directeur de la protection de l’enfant au ministère de la Famille.

Le ministère des Affaires sociales, met lui aussi en place des dispositifs de protection et d’information pour protéger ces enfants, notamment en sensibilisant des pasteurs à la psychologie infantile.

Source : Le Point, 28 novembre 2013