Fausses informations et théories conspirationnistes : une autre forme de contagion

Contrairement aux vraies conspirations qui sont corroborées par de nombreuses sources, les théories du complot se fondent sur une pluralité d’événements entre lesquels on cherche à créer des liens. Certains ont voulu donner un sens à la pandémie, un sens obscur se nourrissant de conspirations et de fausses informations.

S’ils reflètent l’inquiétude de certains qui croient s’informer, les délires complotistes sont aussi le symptôme d’une société qui se radicalise faute de confiance dans les institutions publiques, médiatiques, religieux souvent entachées par des scandales. Il ne s’agit plus aujourd’hui d’idées marginales, mais de visions du monde qui s’installent et se partagent. Selon la Fondation Jean-Jaurès, la Covid a généré « quasi instantanément ses propres interprétations ou grilles de lecture de nature conspirationniste ». Face à une cacophonie d’informations, certains ont cherché leurs propres réponses, avec la conviction qu’ils doivent trouver la vérité, voire un traitement, par eux-mêmes. Une vérité claire offrant un sentiment de sécurité et de contrôle, mais dont les risques individuels et collectifs pour la santé peuvent être graves.

Souvent portées par « des médias alternatifs » ces théories peuvent contribuer à la confusion du public,   brouiller la communication des autorités sanitaires, notamment de l’OMS, et mettre des vies en danger. Ainsi des discours vantant des remèdes illusoires ou dangereux, refusant la réalité de la gravité de l’épidémie ou prônant la désobéissance aux mesures prises par les autorités pour endiguer l’épidémie.

Des gens voient avec inquiétude leurs proches devenir obsédés par de telles théories, au point où la discussion n’est plus possible ; ils se coupent des médias mainstream auxquels ils n’accordent plus aucune confiance et se renferment autour de communautés partageant la même vision renforçant ainsi leurs idées.

Pourquoi les théories du complot attirent-t-elles ?

 

La recherche en psychologie suggère que les théories du complot comblent des besoins psychologiques, comme le besoin de connaissances, de certitude, de contrôle, d’autonomie et d’estime de soi. Or la pandémie crée justement ces besoins chez une bonne partie de la population. Karen Douglas, chercheuse en psychologie sociale, Université du Kent (Grande- Bretagne) explique que comme les croyances religieuses, les théories du complot donnent un certain confort. De plus, elles flattent le narcissisme en donnant l’illusion d’appartenir à une élite.

Le complot peut aussi naître d’un changement trop violent. Ainsi l’apparition brutale du virus et le caractère soudain du confinement ont pu amener certains à penser qu’il y avait un côté intentionnel derrière les événements.

Comment les complotistes se rendent-ils convaincants ?

 

Les discours complotistes suivent toujours les mêmes règles : rien n’arrive par accident, tout événement est intentionnel et profite à ceux qui tirent les ficelles dans l’ombre. Il faut donc se méfier car rien n’est tel qu’il paraît être, on nous manipule et « tout est lié ou connecté, mais de façon occulte»

Les complotistes s’appuient sur une mécanique bien rodée : ils font souvent appel à un langage descriptif ou des histoires personnelles vivantes en mentionnant le nom d’organismes connus pour paraître plus crédibles ; ils répètent l’information en boucle afin qu’en devenant plus familière, elle paraisse plus véridique. L’iconographie a aussi une grande importance, en particulier sur les réseaux sociaux où l’idée doit pouvoir passer en une image. Pour donner de la crédibilité à leurs discours, ils font référence à des études scientifiques mais en empruntant uniquement ce qui accrédite leur thèse et discréditant ce qui y est contraire.

En outre, les sites Internet et les chaînes YouTube conspirationnistes ont leurs propres experts, souvent présentés comme des génies visionnaires rejetés par leurs pairs car leur discours va à l’encontre des intérêts de big pharma. En réalité les positions de ces personnes « sont souvent « ultramarginales », voire inexistantes dans le monde scientifique », précise Julien Giry, Docteur en Science Politique de l’Université de Rennes1 et spécialiste des conspirations, comme Andrew Wakefield1, par exemple.

Selon Rudy Reichstadt, « la rhétorique complotiste, revendicative, imperméable à la critique, peut don­ner lieu à des vagues d’intimidations décomplexées », comme on l’a vu pour le docteur Karine Lacombe, conspuée et menacée sur les réseaux sociaux pour avoir mis en garde contre le manque de preuves scientifiques quant à l’efficacité de l’hy­droxychloroquine (voir encadré à la fin). Elle a fini par fermer son compte Twitter.

1- Lire sur le site de l’Unadfi : Pas de lien possible entre autisme et vaccin :  https://www.unadfi.org/domaines-dinfiltration/sante-et-bien-etre/pratiques-hygienistes-et-traditionnelles/pas-de-lien-possible-entre-autisme-et-vaccin/

Comment se propagent-les théories conspirationnistes ?

Sur internet et les réseaux sociaux l’instantanéité des réactions, les partages sans vérification leur offrent à ces théories une caisse de résonance sans précédent.

Gordon Pennycook, chercheur en psychologie de la désinformation à l’Université de Regina, au Canada, a étudié sur quels critères se fondent les gens pour partager les informations qu’ils reçoivent. Une étude sur les critères de partage des informations reçues indique que 35% des personnes interrogées ont dit transmettre des fausses nouvelles en toute conscience, mais en pensant que s’il y a une once de vérité cela pourrait quand même être utile aux proches.

Un autre phénomène apparu à l’occasion de la mobilisation des gilets jaunes, s’est accentué avec la crise de la Covid : la moindre vidéo diffusée par un inconnu peut devenir virale. Ainsi, une video accusant l’Institut Pasteur d’avoir créé le coronavirus a été vue plus de 3 millions de fois en quelques heures.

On ne connaît pas le nom ni le parcours professionnel des auteurs, iIs n’expliquent pas comment ils ont obtenu leurs informations et pourtant, de nombreux internautes leur font aveuglément confiance. Peut-être est-ce dû à l’excès de confiance dont font preuve ces individus, identifié en psychologie des groupes comme effet « Dunning- Kruger » qui a démontré que moins une personne est compétente dans un domaine, plus elle parle avec confiance. »

Quand des pontes de la médecine s’en mêlent 

Les théories sur la chlorochine du professeur Raoult, imminent im­munologue marseillais, ont pour le moins suscité de vifs échanges laissant le champ à une vaste théorie complotiste. Les pro-Raoult prétendent que le médicament « miracle » serait rejeté par le gou­vernement en raison de conflits d’intérêts en lien avec Big pharma.

Il est vrai que ses théories ont fait de l’immunologue un sauveur, un quasi gourou, pourfendeurs des lenteurs administratives, thèses alimentant l’imaginaire des antisystèmes. Peut-être faut-il y voir les raisons pour lesquelles ces théories ont pu être récupérées.

Au début du mois d’avril, le Professeur Luc Montagnier, co-récipiendaire du prix Nobel de médecine en 2008, a relancé l’idée selon laquelle le SARS-CoV-2 responsable de la pandémie actuelle aurait été fabriqué en laboratoire. Ces propos tenus sur Cnews et le site Allo Docteur ont rapidement été repris par la complosphère, mais également d’élus du Rassemblement National comme Gilbert Collard. Il prétend aussi, comme de nombreux conspirationnistes, que la 5 G pourrait « contribuer au pouvoir pathogène du virus ».

Par le passé, Luc Montagnier s’était déjà distingué par des allégations en totale opposition à ses pairs affirmant qu’il accumulait « des impostures scientifiques et médicales à force de se prononcer dans des domaines où il n’est pas compétent » : en 2009, il affirmait que la meilleure défense conte le virus du Sida était un bon système immunitaire allié à une nutrition sans antioxydants, en 2010, il défendait la théorie de la mémoire de l’eau dont la validité scientifique a été complètement rejetée. En 2012 il lance des propos anti vaccination et en 2017, il apparaît aux côtés du professeur Henri Joyeux pour dénoncer la dangerosité de la vaccination qui risque « d’empoisonner petit à petit toute la population ». Il ira même jusqu’à déclarer qu’il y aurait un lien entre la mort subite du nourrisson et la vaccination.

L’institut Pasteur tout comme l’Académie de Médecine et un grand nombre de scientifiques ont désavoué le prix Nobel pour ses positions controversées.

(L’Express, 18.04.2020)

Endiguer le phénomène

Face à l’ampleur qu’a pris le phénomène complotiste, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a annoncé une nouvelle initiative des Nations Unies « pour inonder Internet de faits et de données scientifiques tout en combattant le fléau croissant de la désinformation, un poison qui met encore plus de vies en danger ». L’OMS aussi a ajouté une section « Démanteler les mythes » à ses pages de conseils en ligne sur les coronavirus.

Guy Berger, Directeur des politiques et stratégies en matière de communication et d’information à l’Unesco, explique que l’Unesco a pour but d’améliorer l’apport d’informations exactes et de veiller à ce que la demande soit satisfaite. Il exhorte aussi les gouvernements « à ne pas imposer de restrictions à la liberté d’expression mais à reconnaître le journalisme comme un pouvoir contre la désinformation même lorsque les infos sont d’une opinion opposée ».

Les médias aussi se sont attelés à la lourde tâche de rétablir les faits, parmi eux on peut citer :

 A l’étranger

  • Fact-Checking Network, un regroupement de plus de 70 médias qui débusquent les fausses nouvelles qui circulent sur les réseaux sociaux : h t t p s : / / w w w. p o y n t e r.o r g / ifcn/. Jeff Yates de l’émission, Décrypteurs, diffusée sur Radio Canada, explique « On fait un triage comme aux urgences. On s’attarde sur les nouvelles qui nous sont le plus souvent partagées, celles qui sont les plus virales ou celles qui ont le plus grand risque de semer la panique »
  • Reality Check de la BBC : https:// www.bbc.com/news/reality_ check

En France

Mais la plus grosse partie de l’action pour contrer les fake-news et les théories conspirationnistes doit passer par l’enseignement de l’esprit critique, la prévention et l’action sociale.

Rachida Azdouz, psychologue et essayiste canadienne, explique qu’il est nécessaire « d’apprendre aux jeunes à distinguer le doute du soupçon. Le premier permet de remettre en question les évidences, les certitudes et de rester curieux, ouvert. Le soupçon, c’est la méfiance sans la curiosité, c’est douter des autres ».

Les recherches menées grâce au test de réflexion cognitive (TEC) ont amené les chercheurs a, penser que l’une des meilleures parades aux théories du complot pourrait résider « dans une réponse simple agrémentée d’images et de photos pour rendre les idées plus faciles à visualiser. »

Attention à la sortie du confinement

Avec l’approche de la fin du confinement, une nouvelle théorie qui invite les gens à filmer leur hôpital, et diffuser la vidéo accompagnée de #FilmYourHospital, tente de démontrer qu’il n’y a peut-être aucune urgence médicale du tout. Elle est née après que l’ancienne personnalité de droite américaine Todd Starnes ait téléchargé une vidéo à l’extérieur d’un hôpital de Brooklyn, montrant une scène silencieuse. Elle a également atteint la France et pourrait se révéler dangereuse en dissuadant les gens de porter des masques.

(Sources : Le Monde 28.03.2020, La Presse, 05.04.2020, BBC, 07.04.2020, New York Times & Vice, 08.04.2020, Mother Jones, 15.04.2020, Conspiracy Watch, 19.04.2020, Ra­dio Canada, 24.04.2020, La Presse, ,26.04.2020, BBC, 05.05.2020)

 

 

  • Auteur : Unadfi