Ancien trafiquant de drogues à la solde d’une organisation criminelle affiliée au groupe de motards Hells Angels, Stéphane Allie s’est reconverti dans le développement immobilier pour créer un projet communautaire néosurvivaliste.
Ex-membre des Devils Childs, une bande d’amateurs de moto, Stéphane Allie a été condamné à 6 ans d’incarcération (de prison) en 2014 par le plus haut tribunal du Québec. Il était accusé d’avoir participé à divers trafics de drogues et à du gangstérisme pour le compte de l’organisation criminelle Hells Angels, elle-même attaquée pour ses activités illicites relatives à des armes, de la drogue ou des affaires d’extorsion.
En 2021, avec sa compagne Patricia Lemire, l’homme a acquis une montagne à Grandes-Piles, en Mauricie,pour y établir le Domaine Ohana, destiné à une communauté hors réseau (« off grid ») susceptible d’accueillir une trentaine de familles souhaitant vivre en autonomie. Par ailleurs, le 3 octobre dernier le groupe Facebook « objectif : 100 000 éveillés », publie un message indiquant qu’il ne reste plus que « 12 terrains à vendre au Domaine Ohana ». A titre informatif, ce groupe cherche à créer des éco-villages autosuffisants, base indispensable pour initier un « nouveau monde ». La pensée du groupe pourrait se résumer à l’aune d’une de leurs publications : « nourrir le bon loup pour le faire grandir, et cesser de nourrir le mauvais avant qu’il nous mange ». Pourquoi ce groupe Facebook relaie-t-il les actualités de Stéphane Allie ? Il faut se pencher sur la page Facebook de l’ex-motard lui-même qui poste également les publications conspirationnistes des 100 000 éveillés. Leurs différentes pages sur le réseau social partagent les mêmes idées complotistes : manipulation des gouvernements et des médias, soumission des masses… Une obsession qui explique d’ailleurs la présence de Stéphane Allie dans le convoi des camionneurs antivax parti d’Ottawa l’hiver dernier.
Pour lutter contre ce monde qui l’horrifie, le quarantenaire entend faire de son projet de développement immobilier une véritable organisation. Le couple de promoteurs explique ses ambitions : « Ça va bien au-delà d’un simple terrain. L’idée, [c’est] de bâtir une communauté off grid (sans le réseau Hydro-Québec) solaire, propane et bois et d’y construire une fermette, une serre et une cabane à sucre avec grande salle à manger qui servira également de salle communautaire et d’école.» Le duo précise aussi : « Nous souhaitons être le plus autonome possible (légumes, viandes, eau, énergie si possible, enseignements et soins de santé). Pour nous aider au départ nous mettons à la disposition des nouveaux arrivants un bloc sanitaire (douche, toilette, laveuse) au pied de la montagne dans un bâtiment où il y aura de l’électricité pour recharger des batteries au besoin et un puit artésien pour nous fournir en eau potable. Bien que nous souhaitions être le plus autonome possible, il y aura tout de même 7 (3 déjà vendus) terrains au pied de la montagne qui pourraient avoir Hydro Québec vu leur proximité de la route ». Les lots mesureraient entre 43 000 et 70 000 pieds carrés se vendraient en moyenne 1,50$ le pied carré (de 64 500 $ à 105 000 $ le terrain). Il reste néanmoins difficile d’obtenir des informations sur ce projet aux allures survivalistes puisque Stéphane Allie refuse les interviews des journalistes qui « déforment la vérité ». Avec un drone, l’équipe du média canadien Le Soleil a toutefois relevé la présence de machinerie lourde et de camionnettes. Sur les images, on peut voir des chemins aménagés dans la montagne et des bâtiments en voie de construction.
Martin Geoffroy, directeur du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR) au Canada, souligne que l’histoire du Québec est « parsemée de groupes qui, à un moment donné, ne pouvaient plus supporter la société et ont décidé de s’en isoler », à l’instar des Bérets blancs de Rougemont ou de la Mission de l’Esprit-Saint. La pandémie de Covid-19 a renforcé ce rejet de l’État ainsi que la volonté d’adopter des styles de vie alternatifs souvent teintés de New Age. L’expert du CEFIR analyse aujourd’hui l’organisation de Stéphane Allie : « En tenant des discours comme ça, en référant à l’urgence, c’est une bonne technique de vente. […] Ce qui me fait dire aussi que c’est peut-être une communauté sectaire en formation, c’est qu’ils cherchent à recruter des membres pour élargir leur base. Il y a un désir de recruter des gens qui ont les mêmes croyances, une forme de prosélytisme ». Le spécialiste invite donc les potentiels acheteurs à la prudence en rappelant l’intérêt financier de ce projet pour le couple.
(Source : Le Soleil, 18.10.2022)