
Au Cameroun, de nouveaux mouvements religieux, centrés autour de « prophètes » autoproclamés promettant et monnayant prospérité et solutions miraculeuses attirent de plus en plus de fidèles. Cette prolifération de sectes bouleverse le paysage spirituel du pays et inquiète l’Église catholique autant que l’Église protestante.
L’abbé Serge Eboa, chancelier de l’archidiocèse de Douala, est formel : « l’Église catholique du Cameroun entretient de bonnes relations œcuméniques avec les Églises issues de la Réforme regroupées dans le Conseil des Églises Protestantes du Cameroun (CEPCA), l’Église Évangélique du Cameroun (EEC), l’Union des Églises Baptistes du Cameroun (UEBC), ainsi qu’avec l’Église anglicane et la petite Église orthodoxe ». Ces Églises établies organisent d’ailleurs, chaque année, la traditionnelle « Semaine de prière pour l’unité des chrétiens » durant laquelle pasteurs et prêtres catholiques se déplacent dans divers lieux pour prier avec les fidèles et faire ensemble des actes de charité. Serge Rboa explique en revanche que « les relations avec les mouvements religieux néo-pentecôtistes, souvent agressifs envers les Églises établies, sont plus complexes ». Et ils foisonnent. Église de réveil, Centre de miracle Bonabo, Église de la Sanctification du Cameroun- Apôtre Jones Tam, Mission du Plein Évangile au Cameroun-Chapelle de Solution, Montagne de Prière-Prophète Alex Jérémie Kamdem, Tabernacle de Sion… Dans chaque quartier, de simples maisons ont été transformées en lieux de culte. Sans compter les multiples Salles du Royaume des Témoins de Jéhovah. Impossible de les dénombrer précisément, aucune étude panoramique des mouvements religieux n’ayant été effectuée depuis 25 ans. Une certitude : ces nouveaux arrivés bousculent les habitudes dans un pays jusque-là dominé par les Églises traditionnelles arrivées dans le sillage de la colonisation, l’islam et les religions ancestrales.
Des marchands d’illusion confortés par une loi de 1990
Serge Eboa affirme que « ces gourous promettent des solutions miracles pour trouver du travail, la guérison ou pour aller en Europe ». Selon lui, « certains incitent des malades à ne pas se rendre à l’hôpital, ce qui peut avoir des conséquences fatales… Tout cela moyennant des rémunérations importantes ». L’abbé précise que « des gens aisés, des intellectuels, des ministres du gouvernement vont aussi les consulter. Ils y vont pour chercher la protection, pour obtenir une promotion sociale ou professionnelle. Les pasteurs exigent d’eux des sommes énormes, l’équivalent d’un salaire mensuel voire la vente d’une maison ou d’un terrain. Ils pratiquent de véritables lavages de cerveau, rendant les gens dépendants. Ils en réclament toujours plus, provoquant l’appauvrissement de nombreuses personnes ».
Les mouvements pentecôtistes, millénaristes ou gnostiques se sont développés à partir des années 1990, suite à la promulgation de la loi libéralisant l’exercice public des associations religieuses. L’autorisation donnée à ces nouveaux mouvements religieux a pu apparaître comme une chance aux yeux de jeunes sans espoir, victimes du chômage et de la crise. Mais certains analystes politiques y ont aussi vu une manœuvre pour affaiblir les grandes Églises critiques face à la mal-gouvernance du pays. Un pasteur de l’Église évangélique (EEC) estime que le phénomène traduit « l’incapacité des uns et des autres à faire face aux difficultés de la vie ».
Serge Eboa explique que « ces pasteurs autoproclamés, qui se font appeler prophètes, peuvent être d’anciens séminaristes qui ont été renvoyés et qui disent avoir eu une révélation, ou de simples chauffeurs de taxi sans aucune formation théologique minimale. Ce sont tous des marchands d’illusion qui se posent souvent en adversaires de l’Église catholique ». Il a observé, constaté… Mais l’abbé se sent aujourd’hui bien démuni.
(Source : cath.ch, 28.12.2024 ; La Liberté, 02.01.2025)