« On ne contracte pas »

Une vidéo virale (plus de 30 millions de vues) d’un échange tendu entre un couple et les forces de l’ordre a mis en lumière une idéologie obscure et potentiellement dangereuse : celle des « citoyens souverains ».

Dans cette séquence, largement partagée et commentée, un automobiliste et sa passagère refusent de se soumettre aux demandes des gendarmes en déclarant ne plus appartenir à l’entreprise République française. Derrière cette déclaration pour le moins inhabituelle se cache une croyance conspirationniste selon laquelle les États, y compris la France, ne seraient plus des nations mais des entreprises privées, et par conséquent, les citoyens ne seraient pas tenus de respecter les lois élémentaires telles que celles concernant les forces de l’ordre ou le paiement des impôts.

Ce mouvement, originaire des États-Unis où il est connu sous le nom de « sovereign citizens », trouve ses racines dans une profonde méfiance envers l’État, perçu comme intrinsèquement tyrannique. Les adeptes de cette idéologie estiment que les États ont cédé leur légitimité lors de certaines périodes historiques, par exemple l’abandon de l’étalon-or en 1933 ou l’introduction de l’impôt sur le revenu durant la guerre civile américaine. Ils soutiennent que les États sont depuis devenus des débiteurs auprès des grandes banques, hypothéquant même leurs propres citoyens pour garantir leurs emprunts.

Cette idéologie, aux ramifications complexes et souvent nébuleuses, n’est pas seulement théorique : des cas de violence et d’extrémisme y sont associés, notamment avec des individus comme Terry Nichols, impliqué dans l’attentat d’Oklahoma City en 1995, et des groupes tels que les Proud Boys ou QAnon. En parallèle de cet extrémisme, des citoyens ordinaires adoptent ces idées dans leur quotidien, comme le montre le couple français, sans emploi, ayant fait parler de lui. Leur stratégie principale repose sur la répétition de formules apprises, comme « je ne contracte pas », qu’ils espèrent pouvoir utiliser comme un bouclier face aux représentants de l’État. Une tactique inefficace en l’espèce, le couple français ayant finalement été interpellé. Le mari est convoqué devant le tribunal de Dunkerque. Dépourvue d’attestation d’assurance, la voiture a été placée en fourrière.

Paradoxalement, cette communauté antisystème est très procédurière. Le site du Common Law Court (dont les administrateurs sont anonymes) leur permet d’échanger des astuces, notamment pour se dérober aux demandes des autorités. Ils multiplient les contentieux et, sur leur forum, les récits abondent avec l’espoir clairement affiché de faire plier les institutions. 

(Sources : Huffington Post & BFM, 06.04.2024 & Le Monde, 08.04.2024)

A écouter sur le même sujet : Complorama, Les citoyens souverains, de la contestation au complotisme : https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/complorama/les-citoyens-souverains-de-la-mouvance-contestataire-au-complotisme_6489974.html

  • Auteur : Unadfi