Les autorités marocaines s’inquiètent des fréquents dérapages dans la pratique de l’exorcisme nourrie par la croyance populaire et devenue un business lucratif pour charlatan sans scrupule. Une étude réalisée en 2012 par le Pew Research Center1 a révélé qu’au Maroc, 86% de la population croit aux esprits. C’est le taux le plus élevé dans le monde.
Une femme de 40 ans est l’une de ces victimes. Alors qu’elle souffrait d’une déficience mentale, son mari avait interprété son comportement comme étant celui d’une femme possédée. Elle est décédée, après avoir été battue à mort lors d’une séance d’exorcisme.
Le débat sur l’exorcisme est étroitement lié à la situation des malades mentaux dans le pays. Au sein des populations peu éduquées, les pathologies sont interprétées selon trois diagnostics : la possession, le mauvais oeil ou la sorcellerie.
Cette croyance, bien enracinée, fait le jeu des charlatans. Beaucoup se présentent comme imam pour pratiquer une sorcellerie pourtant bannie de l’islam. D’autres vantent leur pouvoir de communication avec les djinns (esprits) et accompagnent leurs rituels exorcistes d’incantations religieuses perçues comme gages de sincérité. Leur profil est caractéristique et intéressant : « ce sont des manipulateurs, souvent très intelligents, qui s’amusent de la naïveté des autres pour leur soutirer un maximum d’argent ». Ces escroqueries s’accompagnent fréquemment de maltraitance. Les victimes sont battues. Leurs pleurs et leurs cris sont interprétés comme des ricanements et des provocations du djinn. Il existe également un grand nombre de cas d’attouchements sexuels et de viols perpétrés dans le cadre de ces exorcismes.
Le docteur Benyachou, veut encourager les autorités à agir : « Le gouvernement marocain doit protéger son peuple et interdire ces charlatans ». Il fait un lien avec la situation dramatique de la prise en charge des maladies mentales dans de nombreux pays. Un rapport du Conseil national des droits de l’homme publié en 2013 ne recensait pour le Maroc que 131 médecins psychiatres et seulement 20 hôpitaux spécialisés. Une carence qui favorise le recours au charlatanisme.
Le gouvernement marocain a érigé la santé mentale comme l’une de ses priorités et prévoit, d’ici à 2016, la construction de trois nouveaux hôpitaux spécialisés et s’est engagé à former 30 psychiatres ainsi que 185 infirmières spécialisées. Ces mesures satisfont le docteur Benyachou : « développer des infrastructures de qualité est la meilleure solution pour contre-attaquer le business des marabouts ».
La sorcellerie est condamnée par la loi marocaine. Un décès survenu après l’absorption d’une « potion » donné par l’exorciste est considéré comme un homicide involontaire. Dans les cas de crimes (viols ou morts), une enquête est ouverte, mais les faits sont rarement dénoncés. Les séances peuvent se dérouler dans le cadre familial, ce qui n’encourage pas les victimes à porter plainte.
(Source : Jeune Afrique, 01.06.2015)
(1) Institut de recherche américain
À savoir
Au Maroc, il existe deux grands types de rituels. Le premier consiste à pratiquer l’incantation « thérapeutique » des versets du Coran, la roqya. Le second utilise des talismans, quteb, réalisés à base d’herbes « salvatrices », d’organes ou de peaux d’animaux, « voire de restes humains ».
Les exorcismes et la sorcellerie pratiqués au Maroc puisent leurs racines dans les pratiques bédouines de l’Arabie préislamique, la culture berbère inspirée par des codes empruntés à l’ésotérisme hellénistique et la tradition souffie.