L’école des « élus »

Une école qui prône l’ouverture : les parents de Raphaël pensaient avoir trouvé l’établissement idéal pour leur fils, bon élève, qui s’ennuyait dans son cursus classique au collège. L’école de l’Arche située dans le château de Pontarmé dans l’Oise, un établissement hors contrat fondé en 2020, semblait offrir un cadre idyllique et un parcours pédagogique prometteur autour de la méthode Montessori. Mais après avoir vite déchanté sur l’encadrement pédagogique, ils ont découvert des faits bien plus problématiques qu’ils ont signalés au rectorat et à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

Aucune des promesses données à l’inscription n’a été tenue. L’internat au château a été déplacé chez le professeur de sport, le parcours bilingue a disparu du programme. Mais le pire restait à venir. Raphaël rapporte les propos étranges tenus à l’école comme les mots « communauté » et « élus » qui reviennent comme des leitmotivs. Un des professeurs leur disait qu’ils se marieraient entre gens de la communauté, que l’extérieur était mauvais. D’autres élèves ont rapporté la tenue de tribunaux internes lors desquels les élèves se condamnaient publiquement les uns les autres.

Peu à peu les relations entre les parents de Raphaël et la direction de l’école se détériorent. D’autres parents se plaignent et finalement « la moitié de la promotion est mise à la porte » par la directrice du collège. Mais ce n’est que courant 2022 que la mère de Raphaël découvre ce que dissimule l’école, après avoir reconnu sa directrice sur une vidéo des Brigandes. Ce groupe de musiciennes identitaire est dirigé par Joël Labruyère qui est notoirement connu dans le milieu ésotérique et pour avoir fondé l’Omnium des libertés, la première association de défense des « nouveaux mouvements religieux », dont certains qui sont soupçonnés de dérives sectaires. Lui-même a été successivement le dirigeant de plusieurs communautés : La Nation libre, Royaume elfique, Le Clan des brigandes, La rose et l’épée.

La directrice n’est pas la seule à avoir été une adepte de Labruyère, le co-fondateur de l’école et son professeur de sport l’étaient également. Les trois ont rompu avec le groupe en 2014 avant le dépôt d’une plainte en 2015 contre Joël Labruyère « pour abus de faiblesse, travail dissimulé et violences volontaires ». Les victimes se plaignent de la « totale soumission au chef », de la diabolisation du monde extérieur, de ruptures familiales mais aussi de captation d’argent.

Selon Annick, une ex-adepte du groupe, deux des trois protagonistes étaient haut placés dans la hiérarchie du groupe. La directrice, qualifiée de reine des elfes, a longtemps été le bras droit de Labruyère, tandis que son associé était chargé des relations extérieures et de l’édition des revues du groupe. Elle raconte le côté élitiste, mais aussi fermé de la communauté : « On vit vraiment au-dessus de la mêlée, comme des êtres intermédiaires entre l’homme et le dieu On doit changer de nom, toutes les personnes du monde sont des ennemis ». Pour elle, la sortie a été difficile « Il m’a fait démissionner, quitter ma famille, vendre ma maison ».

Les dirigeant de l’école, semblaient s’être reconvertis dans l’éducation et avoir abandonné leurs activités ésotériques. En apparence tout du moins. En effet, le signalement de Pierre* auprès de la Miviludes en 2020 ne laisse guère planer de doutes. Après plusieurs semaines de recherches pour essayer de comprendre le comportement étrange de sa compagne durant le confinement, il a découvert qu’elle faisait partie d’un groupe occultiste qui se réunissait à Luzarches dans le 95. Les documents de son amie évoquaient un langage secret ainsi que des rites ésotériques. Certains portaient en entête « Au nom du Dieu inconnu. Ordre du Dragon d’or. Filiation Societas draconistrarum 1408. Rite Nahassite moderne ». Un ordre fondé par Labruyère et le co fondateur de l’école de l’Arche, selon Annick. C’est parce que sa compagne lui a fait part de leur intention de créer une école Montessori que Pierre a alerté la Miviludes.

Pour Annick, il ne fait aucun doute que le véritable objectif de l’école est de « formater des êtres qui prendront la relève, reprendront le projet [de Labruyère] et le feront fructifier. »

Aujourd’hui la mère de Raphaël est choquée et en colère de n’avoir rien vu. Elle a découvert, depuis, que les dirigeants de l’école lui avaient menti depuis le départ notamment sur la promesse d’un internat, qui, en fait, n’a jamais été autorisé.

En septembre 2022, la préfecture a interdit l’accueil des enfants au sein de château de Pontarmé. Mais l’école n’a pas cessé ses activités. D’abord relocalisé dans un camping, l’établissement été fermé temporairement après les contrôles de divers services de l’Etat. L’école a ensuite réouvert en Paca, puis dans la baie de Somme, et elle possède un second établissement à Mortefontaine dans l’Oise. 

*Prénom changé

(Source : Charlie Hebdo, 23.06.2023)

Lire sur le site de l’Unadfi sur les Brigandes : https://www.unadfi.org/mot-clef/les-brigandes/

  • Auteur : Unadfi