Le rapport Frères de Saint-Jean jette une lumière crue sur la communauté

Après les rapports publiés en janvier 2023 par les Dominicains et la Communauté de l’Arche de Jean Vanier, qui ont confirmé et enrichi les connaissances sur des congrégations dont les abus sont dénoncés depuis les années 2000, les Frères de Saint-Jean se sont à leur tour penchés sur leur histoire. Leur rapport de 800 pages, sorti le 26 juin, confirme les violences systémiques en cours dans la communauté fondée en 1975 par Marie Dominique Philippe.

Selon le rapport, depuis la création de la communauté, sur 871 frères (dont 390 prêtres), 72 (dont 52 prêtres) auraient commis des violences sexuelles sur des victimes tant majeures que mineures, majoritairement des femmes.

Les auteurs reconnaissent que ces abus ne doivent pas être considérés comme des actes isolés, mais plutôt comme la conséquence de dysfonctionnements « liés à un système dont l’emprise du père M.-D. Philippe est le centre ». Selon eux, une emprise « qui a tourné chez certaines personnes à une abdication de la conscience, voire à une forme d’idolâtrie » envers Marie Dominique qui occupait tous les rôles au sein de la communauté (père spirituel, confesseur).

Selon le rapport les dérives ont débuté dès la fondation de la communauté. Dès cette époque M. D. Philippe développe le concept de « l’amour-d’amitié » selon lequel « l’amour de Dieu doit se manifester à travers des gestes physiques imitant en cela, selon lui, les rapports charnels qu’il imaginait l’apôtre Jean avoir avec la Vierge Marie. »

Cette théorie qui s’est largement répandue au sein de la communauté a profité aux abuseurs qui s’en sont servi comme prétexte pour commettre des agressions sexuelles. Agressions qui auraient été justifiées par M. D. Philippe auprès de ceux qui en étaient victimes. Ainsi une personne venue dénoncer une agression se serait vu « enjointe plutôt d’aimer son agresseur, comme si c’était son attitude à elle qui posait un problème ». Le rapport constate que c’est en faveur des frères mis en cause  « qu’il invoquait la miséricorde. On ne constate pas un tel souci de miséricorde envers les victimes »

Le rapport montre aussi que les frères Philippe étaient connus pour des dérives sexuelles bien avant la fondation de la communauté. Thomas (cofondateur de l’Arche) avait lui aussi développé une théorie mystico-sexuelle. Il aurait été l’auteur d’agressions sexuelles et aurait entretenu une relation incestueuse avec sa sœur. M. D. Philippe aurait, quant à lui, été l’auteur d’abus dans sa communauté. Malgré diverses condamnations au sein de l’Eglise dès les années 1950, les frères Philippe ont poursuivi leur parcours et ont étendu leur influence au sein de l’Eglise catholique.

En dépit des souffrances rapportées par les victimes et d’alertes, comme celle de monseigneur Séguy en 2000 qui avait prévenu les prieurs de la communauté que « certaines théories mystico-gélatineuses sur “l’amour d’amitié” s’avèrent fort dangereuses », la vision du fondateur a été portée bien après sa mort dans de nombreuses autres communautés au sein de l’Eglise catholique. Comment ces théories influent-elles encore aujourd’hui dans l’Eglise ? Le rapport ne répond pas à cette question. L’historien Florian Michel qui a participé à l’élaboration du rapport pense qu’il faudra « faire des enquêtes scientifiques analogues sur les communautés nouvelles pour bien trier le bon grain de l’ivraie ». 

(Source : Le Monde, 27.06.2023)

  • Auteur : Unadfi