Le phénomène sectaire en Belgique 

Dans le courant du mois de mars 2023, l’hebdomadaire belge Le Vif a fait un point sur le phénomène sectaire. En donnant la parole à de nombreux acteurs, le journal a abordé le traitement du sujet par les pouvoirs publics, le rôle des associations et les tendances sectaires qui touchent le plat pays.

Des structures classiques au gourou 3.0

Le Vif dresse le constat que l’imaginaire collectif sur les mouvements sectaires est quelque peu ancien et que la réalité aujourd’hui est tout autre : le gourou n’est plus aussi caricatural, l’image de l’adepte fragile est erronée et toutes les classes sociales sont touchées par le phénomène. En Belgique, une définition du terme secte est inscrite dans la loi du 2 juin 1998 comme « tout groupement à vocation philosophique ou religieuse, ou se prétendant tel, qui, dans son organisation ou sa pratique, se livre à des activités illégales dommageables, nuit aux individus ou à la société ou porte atteinte à la dignité humaine ». Les croyances ne sont pas jugées ni visées par cette définition, mais bien les délits. La Belgique bénéficie d’une loi sur l’abus de faiblesse qui a été conçue comme un outil de lutte contre les dérives sectaires mais demeure selon André Frédéric, président d’Aviso, trop méconnue et peu utilisée.

Les mouvements New Age sont réapparus en Belgique ces dernières années. Ils se basent sur le rejet de la médecine, de la science, le mal-être, la quête de sens, le rejet des institutions ou encore les préoccupations écologiques. Les adeptes aujourd’hui ne semblent pas croire en une unique doctrine mais fondent leurs propres mélanges de croyances en picorant de tous les côtés comme le font les complotistes. Les associations et organisations belges reçoivent aussi de nombreuses sollicitations liées aux Eglises protestantes mais aussi aux domaines de la santé et du développement personnel.

En Belgique comme partout, le phénomène évolue. Les organisations classiques et structurées restent bien ancrées mais les spécialistes, comme Kerstine Vanderput, directrice du Centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles (CIAOSN), ont vu se développer de nombreuses organisations, notamment sur internet, qui s’avèrent tout aussi dangereuses. Elles sont moins repérables et ciblent tous les publics. Des personnes qui se posent des questions peuvent trouver sur internet des réponses charlatanesques pouvant être dangereuses. Les algorithmes peuvent enfermer les personnes dans un tunnel de propositions frauduleuses. Kerstine Vanderput, va même plus loin et s’inquiète des potentiels risques liés à l’avènement de l’intelligence artificielle (IA) qui permet d’encore mieux cibler les publics et de délivrer un discours « hyperindividualisé » répondant exactement aux interrogations des individus avec une apparence de langage humain. Pour la cheffe du CIAOSN, on pourrait entrer dans l’ère des « dérives sectaires 3.0 » avec des applications spirituelles, des chatbots pouvant converser avec les internautes ou même des « robots humanoïdes pensés pour remplacer un ministre du culte ». En 2022, la BBC avait enquêté sur ce phénomène et notamment sur les liens entre les cultes religieux et l’IA. L’article avait montré comment celle-ci pouvait donner des sermons, répondre aux interrogations des croyants quelle que soit leur religion avec « un aplomb déconcertant ». Neil McArthur, philosophe et directeur du Centre d’éthique professionnelle et appliquée à l’université du Manitoba (Canada), avance avec certitude que de nouveaux cultes vont voir le jour et que des fidèles vénéreront l’intelligence artificielle notamment du fait de son intelligence supérieure, de sa créativité et de son immortalité.

Les potentielles dérives sectaires liées à l’IA et l’opacité des gourous du web rendent le travail des personnes œuvrant à la lutte contre le phénomène sectaire de plus en plus complexe.

Le traitement du phénomène sectaire par les pouvoirs publics et les associations

En Belgique, les associations se plaignent d’un manque de moyens mais quelques signaux semblent encourageants. Dans les années 1990, le sujet a été une préoccupation de l’Etat à la suite d’une série d’évènements qui ont marqué la décennie (Ordre du Temple Solaire, attentat d’Aum). En réaction les autorités belges avaient mis en place une commission d’enquête parlementaire en 1996 et le CIAOSN a été fondé en 1998. Aujourd’hui, le CIAOSN fonctionne en sous-effectif mais continue d’effectuer ses missions d’information aux citoyens ou aux autorités, d’avis et de recommandation. Le centre réalise des fiches sur des mouvements ou tendances sectaires. Leurs dernières réalisations font écho aux mouvements qui inquiètent en France à savoir par exemple Mankind Project, les citoyens souverains ou encore le réseau Solaris. Cela démontre encore le caractère transfrontalier du phénomène sectaire.

Le sujet a semblé ne plus avoir de place importante dans l’agenda politique belge. Certains députés le déplorent et pensent que le phénomène ne reviendra malheureusement sur le devant la scène qu’en cas d’événement tragique. Ce désintérêt proviendrait d’une réorientation des moyens vers la lutte contre le terrorisme. La donne semble pourtant changée, car en 2022, après la prise de poste de Francisca Bostyn à la tête de la Sûreté de l’Etat (service de renseignement et de sécurité belge), le rapport de l’institution mentionnait les organisations sectaires comme sujet dont elle pourra assurer un suivi plus poussé notamment avec le soutien du CIAOSN.

Si les missions d’information et de renseignements semblent être de nouveau en marche en Belgique, l’aide et l’accompagnement des victimes sont en difficulté malgré le travail des associations comme Aviso, SAS Sekten ou encore le Savecs (Service d’aide aux victimes d’emprise et de comportement sectaire). 

(Source : Levif.be, 23.03.2023)

  • Auteur : UNADFI