Liquidités, transferts d’argent vers la Suisse, soupçons de travail dissimulé ou de captation d’héritage… Street Press épluche les comptes de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X.
Une journaliste de Street Press s’est rendue à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, fief parisien des traditionalistes de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX). Les paniers en osier circulent après un office qui a duré plus de deux heures. La journaliste ne participe pas. Une poignée de fidèle le lui fait remarquer. Pour les fidèles de cette communauté, donner à la Fraternité, c’est donner à Dieu. Un ancien adepte voit ces quêtes d’un autre oeil : « Si l’un d’entre nous ne donne pas à la quête par exemple, ben il sera mal vu. On a été leurré. Ils en appellent à la bonté de Jésus, à la bonté de Dieu : “Donnez nous de l’argent pour financer le culte. Pour nous aider à faire le bien”. Et derrière, en fait, ils font les pires ignominies. C’est comme ça que je le ressens maintenant. On était sous emprise pour de l’argent. » Et l’argent à la Fraternité Saint-Pie X n’est pas secondaire. Cette communauté qui compterait près de 100 000 fidèles en France détiendrait des comptes bancaires bien garnis.
Cette association « loi 1901 » dont le nom complet est « les apôtres de Jésus et Marie ou Fraternité sacerdotale Saint-Pie X » aurait déclaré un chiffre d’affaires de 41 626 775 euros pour l’année 2012 répartis ainsi : 24 108 522 euros émanant de fonds de réserve, 6 961 964 euros de dons financiers et 10 483 501 euros de « legs ». Et ce chiffre n’intègre pas les nombreuses associations en lien avec la FSSPX : écoles confessionnelles, associations culturelles, centres de loisirs…
Tout ceci est légal mais le nombre de testaments contestés devant les tribunaux interroge sur l’obtention des legs : 20 procès en vingt ans ont opposé l’association cultuelle à des proches de fidèles décédés. La FSSPX n’en aurait perdu que quatre. « En matière d’héritage, si vous voulez faire annuler un testament c’est très difficile en France. Le droit français est pernicieux », commente une avocate qui a eu affaire à eux.
Selon d’anciens fidèles, les dons sont vivement encouragés. Christiane qui a passé 40 ans au sein de la communauté et qui a constaté à quel point la question de l’argent est omniprésente l’atteste : « On reçoit régulièrement des prospectus pour nous rappeler qu’il faut donner à l’église. Pour aider les écoles à vivre par exemple ou pour financer les retraites de confessions obligatoires ». La FSSPX édite également plusieurs périodiques comme la revue « Clovis » ou « Marchons droit ! » dans lesquels l’appel au don n’est jamais formulé explicitement. Ces constantes sollicitations créent une pression permanente que Christiane juge nocive : « C’est mieux de donner à la tradition qu’à l’État par exemple, vous voyez. Cette phrase je l’ai entendu un nombre incalculable de fois. »
Martine a été une fidèle de l’église traditionaliste durant dix ans. En 2002, son père est en fin de vie, elle ressent le besoin de se rapprocher de Dieu : « À ce moment là, (…) j’étais complètement bouleversée. C’était essentiel pour moi d’avoir quelque chose auquel me raccrocher. (…) » Par l’intermédiaire d’un ami, elle rencontre le prieur de la FSSPX qui lui donne rendez-vous peu avant l’enterrement de son père. Il lui impose un « examen de conscience » qu’elle ne peut refuser si elle veut assister à la cérémonie des obsèques de son père. Elle joue le jeu et avoue tout… même sa relation extraconjugale avec un homme qui l’entretient financièrement. Martine va même jusqu’à lui confier l’existence d’un compte d’épargne qui contenait 25 000 euros. Le temps passe, elle est contrainte à une confession tous les quinze jours. Pour le prieur, Martine a commis « un péché mortel » pour lequel il a une solution : « Vider ce fameux compte en banque, couper tout contact avec son amant et verser à Dieu les 25 000 euros ! Je ne sais pas comment vous l’expliquer mais je me suis exécutée » explique-t-elle.
Alors que la FSSPX nie l’existence d’une « caisse noire », un ancien comptable semble en mesure de décrire le mécanisme d’une « comptabilité parallèle » : des liquidités provenant des collectes réalisées le dimanche à la messe et des dons faits par les fidèles « étaient amenées au district de Bruxelles, dans des sacs, soit par le prêtre économe du district, soit directement par les abbés des prieurés locaux. Ces dépenses étaient consignées dans un fichier Excel. Pour le liquide, je me contentais de compter les sommes et de les indiquer dans le fichier de recettes des “caisses noires” », assure-t-il. Un fidèle qui connaît bien la direction belge confirme avoir eu connaissance de ces liquidités non déclarées et assure avoir déjà évoqué le sujet avec plusieurs religieux. »
Ce type de comptabilité parallèle permettrait notamment de rémunérer des salariés non-déclarés dans différentes structures en lien avec la FSSPX. Christiane a, pendant un peu plus de dix ans (parfois même le week-end), été en charge de la vaisselle, du ménage, de la cuisine et de la surveillance des récréations dans plusieurs écoles gérées par des associations locales de la Fraternité, indépendantes de l’association cultuelle de la FSSPX. Elle en mesure aujourd’hui les conséquences : « En plus des dommages psychologiques, pour ma retraite, c’est très compliqué. Je ne pourrai pas la prendre avant au moins dix ans. J’ai 62 ans et je n’ai presque jamais cotisé. J’étais nourrie, logée, blanchie. Toutes les filles qui étudiaient leur vocation, comme moi par exemple, étaient au noir. Les profs étaient déclarés à mi-temps. » Elle affirme avoir été payée en liquide.
Georges, l’ancien comptable, le confirme : « Pour des raisons de couverture sociale, les enseignants étaient souvent déclarés sous contrat d’emploi à mi-temps. Un équivalent de leur salaire global net leur était donné en espèces. Environ 50 % déclarés, 50 % au noir. »
Officiellement, la FSSPX fait passer ces travaux pour du bénévolat. Pas sûr que l’Inspection du travail en tire les mêmes conclusions.
Street Press a également découvert 13 entreprises périphériques à l’association cultuelle, toutes domiciliées au siège de la Fraternité Saint-Pie X à Suresnes. Les principaux responsables de la FFSPX en sont les dirigeants. Parmi ces entreprises, on compte deux SARL de vente et d’édition de livres lefebvristes, une société de construction en bâtiment, cinq sociétés immobilières de location et gestion de biens et une Société Immobilière Familiale (SIF). En 2017, cette dernière dégageait à elle seule 8.6 millions d’euros de bénéfices.
(Source : Street Press, 27.11.2018)
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