Une nouvelle fois au cœur de plusieurs batailles judiciaires, la Scientologie tente de profiter du Premier amendement pour déplacer, dans deux affaires, les différends hors du système judiciaire et contraindre les anciens membres qui l’on accusée à un arbitrage religieux qu’elle supervisera.
La première affaire concerne les accusations de viols portées contre l’acteur Denis Masterson1. En première instance, le tribunal avait statué que l’affaire devait être soumise à l’arbitrage de la Scientologie car les plaignants, ex-adeptes du groupe, avaient signé un contrat les obligeant à régler leurs différends devant la justice interne du groupe. En appel la cour a annulé cette décision, stipulant qu’en vertu du Premier amendement les individus ont le droit de quitter une religion.
Affirmant que le jugement « enfreint sa capacité à organiser et discipliner ses fidèles », la Scientologie fait, cette fois, appel à la Cour suprême des Etats-Unis pour réviser la décision prise par la Cour d’appel de Californie et statuer en faveur d’un arbitrage interne. En effet les contrats signés par les ex-adeptes, quand elles étaient membres de l’Eglise, stipulent qu’elles ont « renoncé au droit de poursuivre ou de demander réparation légale contre l’Église de Scientologie à perpétuité » et qu’elles ont convenu que les arbitres eux-mêmes « doivent être des scientologues en règle avec l’Église mère ». Mais ce dernier point pourrait saper l’impartialité du processus.
Dans sa requête en révision, l’Eglise avance que le premier amendement « interdit à l’État de peser le caractère raisonnable du «prix» de l’adhésion à une religion ».
Mais les juges de la Cour suprême pourraient refuser de prendre en compte les requêtes de la Scientologie car la décision de la cour d’appel de Californie ne constitue pas une jurisprudence qui risque d’être utilisée dans d’autres affaires mettant en cause d’autres Eglises. Néanmoins, souligne la Scientologie, en raison de son caractère médiatique l’affaire pourrait être connue et citée dans d’autres procédures.
Si la Cour suprême se saisissait de l’affaire, ce serait sa première occasion de se prononcer sur l’arbitrage religieux et de répondre à deux questions constitutionnelles sous-jacentes : le premier amendement favorise-t-il les contrats d’arbitrage religieux comme moyen de laisser les églises et autres organisations religieuses gérer leurs conflits internes ? Ou défavorise-t-il ces contrats en permettant aux membres de les rompre simplement en quittant l’Eglise elle-même ? Jusqu’à présent la Cour suprême s’est souvent rangée du côté des revendications de liberté religieuse.
La Scientologie a entrepris des démarches similaires dans une autre affaire qui l’oppose à trois anciens membres (Valeska Paris, Laura et Gawain Baxter) qui l’accusent de traite d’êtres humains2. Mi-juillet, les avocats de la Scientologie ont plaidé devant le tribunal fédéral de Tampa le droit d’avoir recours à l’arbitrage religieux en interne, là aussi en vertu des contrats signés entre les plaignants et l’Eglise. La Scientologie a également fourni les copies des contrats, réitérant la convention d’arbitrage que les anciens adeptes avaient ratifiés lorsqu’ils ont quitté l’église, respectivement en 2012 et 2007.
L’Eglise avait déjà avancé un argument similaire dans le cas du couple Garcia, anciens scientologues qui alléguaient dans un procès fédéral datant de 2013 que l’Eglise avait commis une fraude financière de 1,3 million de dollars à leur encontre. Dans cette affaire, la Scientologie avait obtenu une décision favorable du juge fédéral de Tampa et de la Cour d’appel qui avaient considéré que « statuer sur l’équité du processus d’arbitrage reviendrait à interpréter la doctrine religieuse en violation du premier amendement ». Lors de l’arbitrage, qui s’est finalement tenu en 2017, le couple de plaignants s’est vu refusé le dépôt des preuves critiquant la Scientologie et le droit d’avoir un avocat à ses côtés.
Bien que l’Eglise ait avancé que de tels arbitrages étaient une pratique courante, l’audience du couple était la première tenue depuis près de 70 ans d’histoire de la Scientologie.
Dans l’affaire concernant le couple Baxter et Valeska Paris, l’avocat de la Scientologie a avancé qu’étant des travailleurs religieux à plein temps, et non de simples paroissiens comme les Garcia, l’arbitrage ecclésiastique ne peut être évité car il est obligatoire pour les membres de la Sea Org. Les trois plaignants ont fait partie du corps d’élite de la Scientologie.
Etant donné les mauvais traitements subis par les trois victimes depuis leur enfance, leurs avocats sont confiants sur les suites qui pourraient être données à la requête de la Scientologie.
L’avocat du groupe a, quant à lui, fait valoir que si l’arbitrage était refusé, les faits antérieurs à 2003 ne seront pas pris en compte car la loi sur la traite qui a été modifiée cette année-là n’est pas rétroactive. Quant aux faits postérieurs à 2003, ils ne seront pas pris en considération car ils se sont déroulés sur le Freewind, le bateau de la Scientologie qui naviguait en eaux internationales.
(Sources : Tampa Bay Times & New Republic, 27.07.2022)
1. Pour en savoir plus sur l’affaire : La Scientologie au cœur d’un procès https://www.unadfi.org/actualites/groupes-et-mouvances/la-scientologie-au-coeur-d-un-proces/
2. Pour en savoir plus sur l’affaire : Trois anciens scientologues déposent plainte pour « traite d’êtres humains présumée » https://www.unadfi.org/actualites/groupes-et-mouvances/trois-anciens-scientologues-deposent-plainte-pour-traite-detres-humains-presumee/