La popularité des faux prophètes

La revue The Economist s’interroge sur le succès rencontré par les faux prophètes en Inde : malgré les cas connus d’abus et d’escroquerie, ils continuent à convaincre et à attirer énormément d’adeptes.

Les gourous et les guides spirituels auto-proclamés sont monnaie courante dans la religion Hindou et chez les Sikhs. Ceux-ci avaient traditionnellement tendance à se retirer dans un lieu éloigné afin de travailler à la quête du salut. L’hebdomadaire The Economist fait remonter à 1960 l’apparition du premier gourou exerçant en public et à se mêlant à la société, lorsque Maharishi Mahesh Yogi fonde le mouvement de la Méditation Transcendantale. Il fonda également sa propre organisation, la Maharishi Foundation, que financent depuis sa création tous ceux qui souhaitent être initiés aux secrets de la méditation transcendantale. Maharishi Mahesh Yogi était un gourou que l’on pourrait caractériser « d’entrepreneur spirituel », à l’instar de Mata Amritanandamayi dite « Amma ». Les câlins guérisseurs qu’offre cette dernière à ceux qui font la queue pendant des heures pour la voir sont gratuits, mais à ceux qui ne peuvent se déplacer jusqu’à elle il est proposé une cérémonie payante d’adoration en ligne.

Comme l’explique Bhavdeep Kang dans son livre Gurus : Stories of India’s Leading Babas, publié en 2016, si certains gourous se contentent de vous offrir une prière ou une incantation, d’autres voient une opportunité de s’enrichir. Le cas du yogi Baba Ramdev est éloquent : cet homme dirige Patanjali, un géant de la distribution de biens de consommation évalué à 4 milliards de dollars, grâce auquel il rivalise avec d’autres multinationales comme Unilever ou Procter & Gamble. Ses clients et ses adeptes sont les mêmes personnes : “il a déjà toute notre confiance, contrairement à d’autres marques qui ont besoin de faire de la publicité pour gagner notre confiance”, explique un adepte qui achète de l’huile pour cheveux dans les magasins Patanjali.

Mais sous ces motivations se cachent parfois des pratiques bien plus insidieuses, voire illégales. Certains de ces guides spirituels sont incarcérés pour des crimes allant du kidnapping au viol en passant par l’évasion fiscale. Un gourou très connu du nom de Sathya Sai Baba fut accusé de blanchiment d’argent, sans que cela empêche des dignitaires haut-placés, dont le premier ministre de l’époque d’assister à son enterrement en 2011. La loyauté envers un gourou peut être mortelle : en 2017, Gurmeet Ram Rahim Singh Insan, un homme flamboyant qui jouait dans ses propres films et vidéos clips, a été condamné à de la prison pour viol. L’annonce du verdict a provoqué une émeute et la police a tiré sur la foule causant des morts et des blessés. Son ashram (lieu de retraite spirituelle) dans la ville de Sirsa attire encore aujourd’hui des visiteurs persuadés que son incarcération était le fruit d’un complot.

Pourquoi cependant une telle unanimité auprès du public ? Bhavdeep Kang apporte un élément de réponse : en Inde, les guides spirituels sont utilisés comme des thérapeutes ou des psychologues. Il s’agit donc autant d’être accompagné dans sa vie que de superstition. Et tout est prétexte à la sollicitation du guide : la guérison d’une maladie, la naissance d’un enfant, une promotion au travail ou l’achat d’une nouvelle voiture.

Qui plus est, la réputation des guides bénéficie de leur proximité avec les politiques qui espèrent gagner des voix en s’associant publiquement avec le divin.

Il n’est pas aisé d’exprimer son désaccord avec cette tendance. En 2013, Narendra Dabholkar, un penseur rationnel qui luttait contre la “magie noire” et la superstition a été assassiné à Pune, dans l’ouest de l’Inde. Le procès de cinq hommes accusés d’être impliqués dans le meurtre a débuté le 30 septembre dernier.

Selon The Economist, tant qu’il existera une foi dans les miracles au détriment d’une foi en la science, les faux prophètes continueront à se multiplier et à exploiter la crédulité de la population.

(Source : The Economist, 29.09.2021)

  • Auteur : Unadfi