La « folle sagesse » au-dessus de la loi

Attirée par le bouddhisme et la méditation, Ariel Hall avait quitté New York pour rejoindre le centre Shambala Monstain1 situé à Boulder dans le Colorado. Lorsqu’elle a voulu mettre fin aux abus qu’elle y subissait, les dirigeants lui ont conseillé de méditer et lui ont dit que la maltraitance était un mal utile. Mais suite à sa plainte, la police de Boulder a découvert qu’il existait plusieurs cas, y compris concernant des mineurs, et que la communauté avait préféré garder le silence et traiter ces cas en interne plutôt que de prévenir les autorités. Une enquête, toujours en cours, a été ouverte pour agressions sexuelles.

William Lloyd Karelis, ancien instructeur de méditation du centre, a été arrêté, soupçonné d’avoir agressé sexuellement une jeune fille dont il était l’enseignant au début des années 2000. Son arrestation en février 2019 a délié les langues des responsables du centre qui ont admis avoir entendu parler de « comportements inappropriés » à l’égard des femmes mais pas d’agression sexuelle.

Dernièrement, la police a procédé à une deuxième arrestation, celle de Michael Smith soupçonné d’avoir abusé sexuellement une adolescente de la communauté à la fin des années 1990. L’avocat de Smith a admis que son client avait enfreint la loi mais qu’un accord avec les victimes lui avait permis de se racheter une conduite. A l’époque, les parents n’avaient pas été au bout de la démarche judiciaire et Smith s’en était sorti en promettant de ne plus être au contact d’enfants et de suivre un programme pour délinquants sexuels. Les premiers rapports de police mentionnent qu’en 1998, des membres de Shambhala avaient traité les accusations contre Smith en interne car tous voulaient qu’il reste dans la communauté.

Dennis Southward, membre de la communauté venu témoigner en faveur de Smith a déclaré que la victime âgée de 13 ans « explorait sa propre sexualité » mais le Conseil de la communauté s’est désolidarisé de cette déclaration.

Lorsqu’elle avait dénoncé les abus sexuels aux dirigeants, Karuna Thompson, une ancienne employée du Shambhala Mountain Center, avait eu l’impression que le problème c’était elle. Elle rappelle que l’« amour libre » en vogue dans les années 1970-1980 avait été admis dans la doctrine par Trungpa sous couvert du principe de « folle sagesse ». Le fondateur, décédé en 1987, voulait en effet que ses adeptes apprennent à repousser toujours davantage leurs limites, dans leur manière de voir le monde mais aussi d’aborder la sexualité. C’est ainsi que durant des années des responsables de Shambhala ont été protégés. Trungpa appliquait à lui-même et à ses lieutenants la « folle sagesse », ostracisant les femmes qui ne s’y pliaient pas.

Les maltraitances trouvant leur justification dans ce principe, les victimes sont désavouées, obligées de côtoyer leurs abuseurs, de ne pas « divulguer » les abus et davantage encore, de ne pas porter plainte. Pam Rubin, ancienne étudiante de Shambhala, qui travaille aujourd’hui auprès de victimes de traumatismes, constate que la promiscuité entre les victimes présumées et les accusés est potentiellement traumatisante.

Au cours de rassemblements visant à remettre de l’ordre dans la communauté, des enseignants ont baillonné les médiateurs en monopolisant la parole par de longs monologues. Quelques adeptes réussissant à s’imposer ont déploré les liens d’aliénation aux dirigeants institutionnalisés par Shambhala, permettant à ces derniers d’exercer un pouvoir sur eux.

Depuis l’ouverture de l’enquête, Mipham, fils et successeur du fondateur, vit en Inde dans le monastère familial de son épouse.

(Source : Denver Post, 07.07.2019)

1. Cette communauté bouddhiste a été créée par Chogyam Trungpa Rinpoche (1939-1987) puis dirigée à sa mort par son fils Sakyong Mipham Rinpoché. Elle est devenue l’une des plus grandes organisations bouddhistes tibétaines d’Amérique du Nord.

  • Auteur : UNADFI