La fin des temps, phénomène culturel et politique

L’apocalypse est une obsession au sein de la droite conservatrice et évangélique américaine. Aux Etats-Unis, cette thématique fait partie de la culture populaire, et a des retentissements sur la vie politique.

Dans les rayons des librairies, la présence en nombre de guides de survie, manuels de prières, livres qui prophétisent la seconde venue du Christ ou tout type d’ouvrage annonçant la venue d’événements cataclysmiques, confirme aux yeux des chrétiens évangéliques l’imminence de la fin des temps. L’impact de certains de ces livres se ressent toujours aujourd’hui. 

The Late Great Planet Earth en fait partie. Publié dans les années 1970 et véritable best-seller, ce livre mettait en relation des événements de l’actualité et des prophéties de la Bible. Prédisant que la fin du monde serait pour les années 1980, il se vendait encore à des milliers d’exemplaires dans les années 1990. Ses prédictions se basaient sur la lecture de signes ésotériques et le décodage de messages, suscitant parmi toute une génération de chrétiens évangéliques un engouement certain pour le déchiffrage de codes secrets.

Par la suite, Left Behind, une série de livres publiée de 1995 à 2007, est venue modifier durablement la façon dont de nombreux chrétiens évangéliques conceptualisaient l’apocalypse. Dans cette œuvre de fiction, le Secrétaire général des Nations Unies, personnage brillant et rusé, se révèle être en réalité l’Antéchrist. Les Nations Unies s’unissent ensuite pour devenir un seul état sur lequel règne un unique gouvernement. Une « Force de la Tribulation » se met en place pour se battre contre les agents de l’Antéchrist. La série a été adaptée de nombreuses fois pour le grand et le petit écran ; Nicolas Cage a joué dans une de ces adaptations.

L’apocalypse est devenue mainstream

Alors que la fin des temps a longtemps été discutée en s’appuyant sur des arguments théologiques relativement complexes et sur des passages des Ecritures, l’approche actuelle est beaucoup plus vague et englobante. Chez les chrétiens évangéliques, il est habituel d’entendre « ils vont interdire l’usage de la Bible » ou « ils vont vous enlever votre liberté de croyance ». La majorité d’entre eux croient en la survenue prochaine de l’Antéchrist, que ce soit sous la forme d’une entité, ou sous la forme d’une économie ou d’un gouvernement mondial.

Professeur d’histoire à la Washington State University, Matthey Sutton explique que lorsque Trump exprimait des désaccords avec l’OTAN ou lorsqu’il critiquait le FBI et « l’Etat profond », il puisait dans un creuset de croyances partagées par une majorité des évangéliques, sans qu’on sache dans quelle mesure c’était délibéré.

Deux paradoxes sont à relever. Premièrement, on voit que les différentes victoires obtenues ces derniers temps par la droite évangélique – élection de Trump, cour Suprême dominée par les conservateurs, enterrement du droit à l’avortement au niveau fédéral – n’ont pas suffi à amoindrir ce sentiment d’apocalypse ou d’effondrement imminent. Deuxièmement, l’apocalypse ne cause pas chez ceux qui l’entrevoient une quelconque frayeur ou panique,  c’est presque le contraire.

Tout cela s’explique par la vision de la fin des temps comme faisant partie intégrante du plan de Dieu. Les victoires obtenues par la droite chrétienne sont considérées comme de menus triomphes face aux puissances maléfiques qui se déversent sur le pays et sa population. Plus elles se déversent, plus le plan de Dieu est respecté, et plus le paradis se rapproche.

QAnon n’a rien inventé

Si les chrétiens évangéliques ont été si prompts à croire aux théories conspirationnistes de QAnon, c’est parce qu’elles empruntaient les mêmes schémas que ceux de l’eschatologie chrétienne de la fin des temps à laquelle ils ont été habitués depuis des décennies.

En effet, selon la grille de lecture QAnon, Trump et ses électeurs sont en guerre contre une élite sataniste, qui sacrifie et boit le sang d’enfants kidnappés. L’ancien président fait office de figure messianique, ses soutiens constituent une armée, et ensemble ils élaborent des stratégies pour faire tomber les forces maléfiques lors de ce qui sera une grande et triomphante bataille, désignée sous le nom de « The Storm » (la Tempête). Lorsque Trump a parlé d’une « élection volée » par un « état profond », il utilisait des expressions éminemment significatives pour ses soutiens évangéliques, qui sont enclins à croire en l’existence d’une opposition puissante, organisée et satanique. Dans ce cadre, le vol d’une élection semble correspondre à la première étape d’un plan plus large. Et si les soutiens de Trump et de QAnon semblent aussi impliqués dans cette bataille pourtant décrite comme terrible et redoutable, c’est qu’ils la considèrent comme essentielle pour que justice soit rétablie et qu’ils sont persuadés qu’une fois terminée, ils se trouveront du bon côté, celui des gagnants.  

(Source : slate.com, 06.10.2022)

  • Auteur : Unadfi