Le président de la Conférences des évêques de France, Mgr Georges Pontier, a répondu officiellement à une quarantaine de victimes d’abus sexuels et spirituels mettant en cause quatorze communautés, mouvement d’église et congrégations religieuses.
Ces victimes de dérives sectaires avaient adressé un « appel » aux évêques réunis à Lourdes pour dénoncer ce qu’elles ont enduré au cœur de ces communautés dites « nouvelles » : dépression, suicide ou destruction de la personnalité.
Dans l’abus spirituel – concept encore peu usité – un fondateur ou un supérieur « utilise son aura et son pouvoir spirituel sur des personnalités souvent jeunes et fragiles, pour enfermer leur liberté dans une dépendance totale afin d’obtenir d’elles le silence absolu, couvrant d’éventuels abus sexuels ou autres abus de pouvoir ».
Souvent d’inspiration charismatique, mais pas toujours, ces « communautés nouvelles » officiellement mises en cause sont les symboles de la « nouvelle évangélisation ».
Parmi les signataires de l’appel figurent :
- Xavier Léger, ancien Légionnaire du Christ, auteur de « Moi, ancien Légionnaire du Christ, 7 ans dans une secte au cœur de l’Eglise » (Editions Flammarion, 2013),
- Aymeri Suarez-Pazos, ancien de l’Opus Dei et président intérimaire de l’AVREF (Aide aux Victimes des dérives de mouvements religieux en Europe et leurs familles),
- Yves Hamant, professeur d’université émérite, spécialiste de la civilisation russe, père d’une ancienne de Points Cœur, fondé par Thierry de Roucy.
Seules cinq des quatorze communautés citées ont fait l’objet de procès canoniques ou de révélations publiques : les Béatitudes (suspension du fondateur, Frère Ephraïm en 2008), la Légion du Christ (suspension du fondateur, le père Maciel, en 2006), Points-Cœur (condamnation canonique du fondateur, père Thierry de Roucy, en 2011), la Communauté Saint-Jean (accusations officiellement reconnues en mai 2013 contre le fondateur, le père Philippe) et les anciens collaborateurs du père Labaky (interdiction canonique de célébration en juin 2013).
Si Mgr Pontier souligne l’importance de la « liberté spirituelle » en reconnaissant que ces « pratiques » sont contraires au respect des consciences, il évite de réduire « le dynamisme de ces communautés nouvelles » aux graves fautes dénoncées. Il s’engage à aider les victimes dans leur reconstruction en demandant à tous les évêques de leur prêter une « oreille attentive et compréhensive » et les appelle « à porter plainte lorsqu’il y a matière ».
Ce n’est pas « pour nuire à l’Eglise mais pour avertir et protéger les jeunes, dénoncer la manipulation des consciences et que les fruits portés par ces œuvres ne justifient plus l’omerta imposée dans les communautés, car se sont des vies entières qui sont détruites en silence » qu’Yves Hamant, professeur d’université et l’un des signataires de l’appel, s’est décidé à agir. Il demande le respect du droit canonique séparant « le for interne et le for externe ».
Source : Le Figaro, 14.11.2013
Mgr Pontier et les dérives sectaires dans l’Eglise : les limites d’une reconnaissance
La revue Golias rappelle que cela faisait douze ans que les victimes et leurs associations attendaient que l’Eglise sorte enfin du silence et se prononce clairement sur leurs tristes situations.
Mais les victimes des dérives sectaires dans l’Église ont-elles réellement été « enfin entendues » ? Si l’épiscopat est sorti du silence, c’est peut-être grâce à la présence, parmi les signataires de l’appel aux évêques, d’Yves Hamant, professeur d’université et personnalité connue. En effet, « les forfaitures connues de tous ne gênaient personnes tant qu’elles ne se savaient pas. » Mises sur la place publique, les « sulfureux » fondateurs, « ont servi de boucs émissaires pour blanchir et protéger le système ».
A propos de la « Mission écoute des victimes », Golias interroge : ne risque-t-elle pas d’être une « annexe de l’Agapé » ? En effet, la responsabilité de l’accueil des victimes est confiée à Mgr Guéneley, « proche de Bernard Dubois, théoricien de l’Agapè et de la religiosité psycho-spirituelle des Béatitudes responsables de tant de dégâts. »
Golias rappelle aussi que, contrairement à ce qu’affirme Mgr Pontier, ce sont les familles des victimes qui se sont chargées d’alerter les évêques sur la dangerosité de certains groupes. Et c’est parce qu’elles n’ont pas été entendues par l’église qu’elles se sont tournées vers les médias.
Enfin, quand Mgr Pontier dit « avoir interpellé les responsables de certains groupes et n’avoir reçu de leur part que méfiance et silence », ne fait-il pas le constat de son impuissance ? L’autorité de l’épiscopat serait-elle subordonnée à celle des responsables de communautés déviantes ? Ainsi, Mgr Carré, actuel vice-président de la Conférence épiscopale et archevêque de Montpellier, était évêque d’Albi, en 2000, en charge de la Communauté des Béatitudes et, à ce titre, en connaissait les dérives et recevait tous les dossiers des victimes. Et pourtant, fin 2002, il menait cette communauté déviante à la reconnaissance romaine, malgré les protestations des victimes : « Il les a ‘‘ écoutées ’’ et leur a dit qu’il ne pouvait rien faire… ». Ce sont les scandales révélés par les médias qui ont empêché la reconnaissance.
Il faudra sans doute plus « qu’une oreille attentive et compréhensive » pour rendre justice aux victimes. « Mais par pitié ! Pas en jouant encore à les ‘‘ écouter ’’, il y a plus de dix ans que l’Eglise les ‘‘ promène ’’ ».
Selon Golias, « Il serait de l’intérêt de l’Eglise de prendre en compte d’une manière responsable cette situation qui va rapidement exploser en éclaboussant bien des responsables ecclésiaux. »
Source : Golias Hebdo, n°312, 21 au 27 novembre 2013
L’Eglise se réorganise pour faire face aux risques sectaires
Pour « s’attaquer au phénomène sectaire au sein du catholicisme », L’Eglise de France réorganise le service national « Pastorale, nouvelles croyances et dérives sectaires » qui comptera désormais trois organes pastoraux distincts :
- l’ « Observatoire des nouvelles croyances », pour connaître, comprendre, rencontrer les croyances, confié à Philippe Levallois, diacre du diocèse de Strasbourg.
- le « Bureau des dérives sectaires » pour mettre fin aux « comportements malfaisants ». Il devrait rédiger un fascicule à destination des victimes afin de leur rappeler leurs droits et leurs recours possibles tant sur le plan canonique que civil. C’est Sœur Chantal Sorlin, juge à l’officialité de Dijon, qui en aura la charge.
- la « Mission écoute des victimes » pour accueillir les victimes souhaitant être écoutées par un représentant de l’Eglise, sera confiée à Mgr Philippe Guéneley, évêque de Langres.
- Cette restructuration fait écho aux engagements de Mgr Georges Pontier envers les victimes « sorties profondément meurtries d’institutions aux pratiques déviantes ». Président du Conseil pour les relations interreligieuses et les nouveaux courants religieux, Mgr Michel Dubost, évêque d’Evry (Essonne), sera en charge de ces trois entités pastorales.
Sources : La Croix, 13.11.2013 & RTL.fr, 16.11.2013