Infiltration dans la multinationale des drogues psychédéliques, au cœur du New Age

La firme espagnole Inner Mastery prospère sur le business des hallucinogènes. Des journalistes l’ont infiltrée. Ils racontent un voyage entre New age, spiritualité, chamanisme et ayahuasca. Quelques participants, souvent sous emprise psychologique et financière, en sont sortis et témoignent aujourd’hui de leurs regrets.

Dans un hameau des Ardennes belges, à Rossart, deux investigateurs participent à un évènement organisé par Inner Mastery, la « maîtrise intérieure ». Cette entreprise fondée en 2013 par Alberto Varela, exporte son activité en Europe et dans une partie de l’Amérique latine, soit 27 pays au total. Implantée à Madrid, la firme rayonne et s’est spécialisée dans le développement sous psychotropes. Les lieux des retraites évoluent au rythme des changements législatifs, descentes de police et saisies puisque l’ayahuasca est illégale quasiment partout en Europe et notamment en raison des risques de santé auxquels elle expose ses consommateurs. En France, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a reçu plusieurs signalements sur cette société. Les craintes à l’égard de ce groupe sont confirmées par un psychothérapeute espagnol spécialiste des questions d’endoctrinement, Miguel Perlado. Il raconte : « De mon expérience avec d’anciens membres, j’observe une soumission progressive, l’annulation de l’analyse critique, une vénération du fondateur Alberto Varela et du groupe, une tendance à l’éloignement et à la rupture familiale, qui s’accompagnent d’une rupture des intérêts personnels ou professionnels, des signes d’endoctrinement idéologique et une dépendance anxieuse à l’égard de l’organisation. » L’expert s’inquiète des états de conscience altérés dans lesquels peuvent se trouver les participants et des situations possibles d’abus moral et sexuel. Des risques d’autant plus importants que ces stages s’adressent majoritairement à des personnes vulnérables. Par ailleurs, ces séjours sont onéreux et chaque nouvelle prise de psychotrope (bufo, kambo, ayahuasca) implique une transaction financière supplémentaire. Aux 230 euros par jour s’ajoutent 150 euros par expérience.

Les organisateurs ne se privent pas d’utiliser un jargon thérapeutique pour convaincre leurs clients. À ce titre, le kambo, issu de la sécrétion d’une grenouille amazonienne, est présenté comme « vaccin de la jungle » efficace contre plusieurs maladies (Lyme, Alzheimer, cancers). Or il n’existe aucune preuve scientifique à ce sujet mais des certitudes quant aux possibilités d’intoxications aiguës avec des effets indésirables graves, voire mortels.

Des produits et services dérivés sont aussi proposés pour le voyage, la formation, le coaching, la musique, les podcasts : Entheos Planet, Ecole Consciente, Académie Alverto, Ayahuasca travels… La possibilité d’adhérer au BeInClub, le « premier club international d’évolution intérieure » est évoquée. En l’intégrant, les adhérents peuvent télécharger une application pour convertir leur argent en InnerCoins (INC), la monnaie virtuelle interne de la multinationale. Une fois qu’un investissement est fait par ce biais-là, il devient impossible de le récupérer, comme l’a expérimenté « Romain » en perdant 4500 euros. Aujourd’hui, cet infirmer envisage d’attaquer l’entreprise en justice. 

Les journalistes du Point qui ont infiltré un des stages racontent une soirée type. Le fils de Varela, Elian, aux allures de Jésus, ne porte pas une couronne d’épines comme lors de la Cène mais une plume d’oiseau dans les cheveux. C’est lui qui guide la cérémonie d’ayahuasca, aux côtés de ses deux jeunes facilitatrices, jusqu’à 4h du matin face aux participants assis sur des matelas. Devant lui trône un quasi-autel avec bougies, encens et pot d’ayahuasca. Une fois le produit consommé, vomissements et diarrhées ponctuent la nuit. Le lendemain, les sessions reprennent ainsi que la possibilité d’engager de nouveaux frais. Idem le surlendemain.

Des anciens facilitateurs d’Inner Mastery chargés de recruter des clients pour les retraites ont parlé anonymement. Aujourd’hui, tous ont la sensation d’avoir été exploités. Certains avaient renoncé à toute leur vie, leur travail, leur famille, pensant découvrir un nouveau mode de vie alternatif et communautaire. Ils en sont revenus, le portefeuille vide. 

(Source : Le Point, 07.11.2022)

  • Auteur : Unadfi