Ancienne adepte de la secte du Parc d’accueil, elle fait partie des victimes de la gourelle de Lisieux (Calvados) condamnée en 2013 à cinq ans de prison pour avoir escroqué, humilié et imposé des relations sexuelles à une vingtaine de personnes. Cette Normande accepte aujourd’hui de témoigner « pour montrer les mécanismes de l’emprise ».
Elle ne craint plus Françoise Dercle, souvent surnommée la gourelle de Lisieux. Alors elle raconte. Une rencontre sur leur lieu de travail, à la fondation Apprentis d’Auteuil, les groupes de prières qu’elles fréquentent à partir de 1996 et surtout son admiration pour la professeure d’anglais : « Elle était aimée de tous ses élèves. C’était une mère proche de ses enfants. Je rêvais de devenir une femme comme elle. Elle parlait de Dieu d’une façon très vivante ». Mais Françoise Dercle instaure très vite des rituels. « Elle nous faisait parler, pendant des heures, de nos malheurs, pour en tirer plus tard les ficelles », retrace celle qui avoue « avoir eu alors un grand besoin de reconnaissance », après une enfance marquée par la violence de son père.
La première manifestation de l’emprise, la Normande, aujourd’hui âgée de 61 ans, la situe en 1997, lorsque son mari quitte son travail, à la demande de la future gourelle, pour assurer l’entretien de la maison où le groupe se réunit. L’assujettissement « s’opère toujours en trois temps : d’abord la séduction, puis la déconstruction de la personnalité et la reconstruction, elle nous remodèle comme elle veut. Lui plaire devenait notre raison d’être ».
Celle qui se fait appeler « la Reine » et se considère comme « l’élue » met en place des « mêlées célestes » pour chasser le diable. Lors de ces séances, « on l’entoure, elle crache des démons puis elle invite par la suite les adeptes à ce qu’elle appelle des navigations, des relations sexuelles imposées entre les membres du groupe. Elle organise qui va avec qui, quand et où ». Jusqu’à « l’inacceptable », en incitant « certains parents à avoir des rapports avec leurs enfants. » La sexagénaire a bien songé à partir, lorsque la gourelle lui « a pris » son époux, mais elle a paniqué à l’idée de se retrouver seule avec les enfants : « Je n’avais alors plus de lien avec ma famille. C’est trop tard. Je me revois pleurer, dans un coin, livrée à moi-même ».
« La prison m’a fait prendre conscience de l’assujettissement »
Puis les membres du groupe emménagent tous dans une maison, à Lisieux, « achetée grâce à la vente des logements de certains adeptes ». Tous, sauf la gourelle. « Elle met son nez dans nos comptes. Nous vivons dans une dictature. Elle nous rend jaloux les uns des autres ». En 2006, une plainte est déposée. L’enquête conduit à l’arrestation de plusieurs personnes, dont elle, en juin 2007. Et elle est placée en détention. Une incarcération de six mois qui lui permet de prendre conscience de l’ampleur de son assujettissement. « La douleur de ne pas voir mes enfants a ouvert une brèche grâce à laquelle j’ai pu aller au fond de moi ». Interrogée par la juge d’instruction, elle avoue : « j’aurais tout laissé faire. Si Françoise me l’avait demandé, je crois que j’aurais pu tuer pour elle ». D’abord soupçonnée d’être le bras droit de la gourelle, elle est reconnue comme victime, grâce à l’expert psychiatre qui analyse les écoutes téléphoniques. À sa sortie de prison, elle s’est reconstruite pas à pas. Ses enfants ont été placés dans une famille d’accueil pendant trois ans. Sa mère, incitée par la gourelle à arrêter son traitement contre son cancer des os, est décédée. Partie civile lors des procès, en 2012 et 2013, elle a réussi à affronter « la Reine », à la regarder en face, et lui dire que « tout était de sa faute. » Françoise Dercle, condamnée à cinq ans de prison ferme et au versement de plus de 450 000 € de dédommagements aux victimes, vit désormais à l’étranger… avec l’ex-mari de cette victime. Installée en Seine-Maritime, celle-ci témoigne au sein de l’Unadfi aux côtés du capitaine de police qui l’avait arrêtée. « J’explique que le plus important, quand on est sous emprise, c’est de savoir que quelqu’un sera toujours là pour vous accueillir. Si je l’avais su, je serais peut-être partie ».
Lors du procès, Catherine Katz a été sollicitée alors qu’elle était à l’époque secrétaire générale de la Miviludes. Aujourd’hui devenue présidente de l’Unadfi, Catherine Katz rappelle que l’affaire de Lisieux constitue « un exemple sur le plan juridique » et que grâce à un « dossier très bien instruit » notamment de la volonté du magistrat et du policier enquêteur de comprendre le phénomène sectaire. Citée par l’avocat lors du procès, Catherine Katz a pu « expliquer le processus d’emprise mentale » et montrer que les personnes vulnérables n’étaient pas les seules concernées.
(Sources : Ouest-France, 25.06.2024 & 26.06.2024)
A lire sur le site de l’Unadfi : L’affaire du Parc d’accueil : résumé : https://www.unadfi.org/actualites/groupes-et-mouvances/affaire-du-parc-d-accueil-resume/