La journaliste allemande Stefanie Albrecht a révélé lors d’une enquête sur le parti nationaliste Alternative for Germany (AFD) des liens entre le journal Epoch Times du Falun Gong et l’extrême droite européenne.
Comme la plupart des partis nationalistes, les partisans de l’AFD se méfient des médias traditionnels et privilégient les sources d’information alternatives. L’un de leur principal canal est le journal du Falun Gong, Epoch Times, très en vogue sur Facebook.
Munie d’une caméra cachée, la journaliste s’est rendue dans les bureaux berlinois d’Epoch Times durant plusieurs jours. Portant son regard sur le monde étrange de ce journal, elle a constaté que tous les membres du personnel étaient des pratiquants dévoués du Falun Gong qui chaque soir, à 18 heures, au son d’un gong stoppaient net leur travail pour méditer tous ensemble. Dans la rédaction toutes les conversations avaient pour sujet des théories du complot.
Fondé en 2000 aux Etats-Unis par des adeptes du Falun Gong, le journal s’est fortement développé depuis l’élection de Donald Trump. Il est publié en 21 langues dans 35 pays et se targue d’une diffusion de 1,6 million d’exemplaires. Mais selon la journaliste, la version américaine considérée comme le seul média digne de confiance par Donald Trump, est beaucoup plus sage que son homologue allemand. Relayant plus occasionnellement de fausses informations, le journal s’est quand même fait le porte-parole du président américain et a conquis des fans avec sa couverture de « Spygate », une théorie de Trump « qui prétend que le FBI a espionné sa campagne » et qu’un complot secret d’Etat visait à saper son élection. Après la victoire de Trump aux élections, le média est devenu son principal soutien. Le soutien des adeptes du Falun Gong, persécutés par le gouvernement chinois, à Donald Trump n’est guère étonnant car ce dernier tient tête à la Chine. Les croyants les plus fervents voient en lui « un sauveur envoyé par le ciel pour détruire le Parti communiste ».
Au même titre que Sputnik ou RT, Epoch Times s’est construit « une machine à propagande mondiale » qui propose sa propre version de la vérité et a su se trouver un public très réceptif en Allemagne où il se classe régulièrement dans le top 10 des médias les plus actifs sur les réseaux sociaux. Son lectorat est monté en flèche lors de la crise migratoire de 2015 et le nombre de visites de son site a plus que doublé à cette période, si bien que le journal a commencé à générer des bénéfices, selon Manyan Ng, son directeur européen. En 2017, son site web comptait plus de quatre millions de visiteurs par mois.
Selon une étude réalisée en 2017 par l’Institute of Stratégic Dialogue, groupe de réflexion londonien luttant contre l’extrémisme, Epoch Times diffuse principalement du contenu « anti-occidental, anti-américain, et pro-Russe » incitant à la haine contre les migrants. Ainsi une photo censée dénoncer l’usage abusif des aides sociales par les migrants, partagée près de 62 000 fois, datait en fait de treize ans.
Mais en ce qui concerne la version allemande, Stefanie Albrecht a découvert qu’aucun des rédacteurs n’était formé au journalisme et que leur unique source d’information provenait d’autres médias alternatifs comme Sputnik ou 4chan. La version allemande est bien plus extrême que les autres et selon Stefanie Albrecht, aucun complot n’était étrange pour le personnel du journal : chemtrail, pizzgate, grand remplacement…
Néanmoins sa collusion avec l’AFD reste étonnante. En effet, comment un journal rédigé par des personnes qui ont fui les persécutions chinoises peut-il être devenu un média de référence pour un parti conservateur qui défend une Europe chrétienne et veut fermer les frontières ? Selon le chercheur, Boris Schumatsky de l’Institute of Strategic Dialogue, cela s’explique par le fait que le parti d’extrême droite comme Epoch Times prétend travailler pour la vérité et plus les faits sont alternatifs plus ils sont susceptibles d’être vrais et d’éclairer le monde.
Selon Seth Hettena, auteur de l’article de News Republic, Epoch Times Allemagne n’est pas un journal, mais un outil prosélyte destiné à rendre les lecteurs perméables aux théories complotistes les plus extrêmes pour les amener à finalement accepter l’incroyable. Les adeptes de l’enseignement de Li Hongzhi, fondateur du Falun Gong, considèrent qu’il est de leur devoir « d’aider le monde à comprendre ce qu’ils considèrent comme la vraie nature de l’univers ».
Epoch Times et l’AFD sont tous les deux porteurs « de leurs propres vérités alternatives quasi religieuses ».
(Source : News Republic, 17.09.2019)