La pandémie de la Covid-19 validerait les théories eschatologiques de nombreux groupes apocalyptiques. Témoins de Jéhovah, catholiques traditionalistes ou évangéliques y voient un signe de la fin des temps. Certains prédicateurs en font même un argument de séduction.
En témoigne le discours de Stephen Lett, l’un des huit responsables mondiaux des Témoins de Jéhovah, largement diffusé dans une vidéo en mars dernier : « Les événements qui ont lieu autour de nous prouvent, plus que jamais, que nous vivons la fin des derniers jours. » « Les prophéties de la Bible annoncent la fin d’un système, celui des hommes, pour qu’il soit remplacé par un système gouverné par Dieu. La pandémie est un signe qui permet de parler de la fin de ce système », précise le siège national des Témoins de Jéhovah.
« Cette pandémie est une aubaine pour les mouvements tels que les Témoins de Jéhovah, qui rassurent en disant “nous avions raison, faites-nous confiance”. […] Parce que plus les gens ont peur, moins ils raisonnent », explique Daniel, ancien membre des Témoins de Jéhovah qui dénonce aujourd’hui les méthodes et les enseignements de la communauté sans pouvoir la quitter par peur d’être excommunié et d’être dans l’impossibilité de voir ses enfants et petits-enfants.
L’Union des associations de défense de la famille et de l’individu victimes de sectes (Unadfi) s’inquiète du sort des personnes fragiles, notamment des enfants, confinés dans leur communauté religieuse. « Nous avons notamment reçu le témoignage d’un père de famille, divorcé, qui a quitté les Témoins de Jéhovah. Son ex-femme, restée dans la communauté, a demandé à leurs filles d’appliquer à outrance les règles de distanciation sociale avec leur père. Diaboliser l’autre parent, c’est une stratégie courante. Le risque pour ces enfants-là est de voir encore moins l’autre parent pendant la crise sanitaire », alerte Marie Drilhon, bénévole de l’Unadfi dans les Yvelines. Les baptêmes express se multiplieraient, précise l’Unadfi.
La Mission de vigilance et de luttes contre les dérives sectaires (Miviludes) explique avoir reçu 52 signalements spécifiques à la crise du coronavirus durant le mois d’avril, tous mouvements confondus. Elle note « un regain d’activité des courants apocalyptiques, qui voient dans la pandémie un signe et une confirmation de l’imminence de la fin des temps ». Certaines associations constatent elles aussi un renforcement du discours de fin du monde porté par certaines communautés spirituelles.
La complexité des discours scientifiques et politiques est pour certains un signe de déclin de la société. Pour Laurence Poujade de l’association Sentinelle spécialisée dans les risques de dérives de groupes religieux, l’idée est que « si un simple microbe peut mettre l’humanité à genoux, c’est que les réalisations scientifiques ne valent rien. Elles sont incapables de nous protéger ».
La Fraternité Sacerdotale Saint- Pie-X par exemple y voit un prétexte pour ne pas respecter les consignes des institutions. « Toute autorité extérieure n’est pas reconnue, rapporte l’Unadfi. Il n’y a que la hiérarchie de Dieu et du clergé. Puis, dans la famille, il n’y a que le père. Il s’agit d’une communauté fermée. Ils ne connaissent pas le monde extérieur et le seul discours qu’ils entendent sur cette pandémie est le leur. »
À trois reprises, cette communauté a organisé des messes malgré le confinement.
Pour Samuel Le Pastier, psychiatre, la difficulté réside dans le fait « que le discours scientifique n’apporte que des réponses partielles et provisoires. Or, ce type de communautés propose une vision totale, qui répond à tout ».
Il y a « un besoin de se raccrocher à la promesse d’un avenir plus réjouissant », analyse Marie-France Hirigoyen qui a constaté une « aggravation du profil paranoïaque » de certains patients durant le confinement, pouvant les rendre plus vulnérables.
Les discours de certains pasteurs pentecôtistes, dits « évangéliques », très populaires sur les réseaux sociaux, sont inquiétants. Source de nombreux signalements auprès de l’Unadfi, Yvan Castanou, pasteur-star d’Impact centre chrétien (ICC) est l’un d’eux. Sur YouTube, il assure qu’aucune maladie contagieuse ne peut l’atteindre. Il assimile la maladie à une « oeuvre du diable » que seule l’Eglise serait « capable de réprimer ». Dans son office du 8 mars dernier, il n’hésite pas à recommander l’imposition des mains ou la prière de guérison comme remède miracle contre la maladie. Il incite même ses fidèles à faire fi des mesures de distanciation. Avant d’enchaîner : « Ma femme a été très malade, une fois. Elle avait de la fièvre. Elle me disait “ne me touche pas, je vais te contaminer”. Je lui ai dit “c’est impossible, car il y a en moi une vie éternelle. Je contamine avec la vie divine”. » Un tout nouveau type de pandémie.
Ce qui inquiète Samuel Le Pastier « ce ne sont pas seulement les conséquences des discours sectaires pendant la crise sanitaire, mais que cette pandémie puisse continuer à favoriser ce type de mouvements dans les prochains mois ».
(Source : France Info, J.-L. Adenor, 17.05.2020)