Commentaire sur le procès de l’Ordre du Temple Solaire

Par Jean-Pierre Jougla, ADFI Montpellier

Le procès de Michel Tabachnik qui vient de se dérouler devant la cour d’appel de Grenoble durant une semaine, 12 ans après les premiers massacres et 9 ans après les derniers, et dont le délibéré doit être vidé le 20 décembre, a été hors norme depuis le début de l’enquête.


Les parties civiles personnes physiques, bien qu’appelantes de la décision de relaxe, ont sollicité de façon paradoxale la relaxe du prévenu au motif que sa condamnation aurait été une façon d’occulter une vérité qui aurait relevé d’une dimension crapuleuse ou du « secret d’Etat », dimension qui à l’issue de ce procès atypique est vidée de toute consistance et est clairement apparue, en l’état du dossier et des auditions de témoins, comme ne relevant plus que du fantasme entretenu.

Seule l’UNADFI partie civile a développé, aux côtés du ministère public, la thèse de la responsabilité de M. Tabachnik dans la participation à une association de malfaiteurs par le biais de l’endoctrinement des adeptes au moyen de ses écrits et par le biais d’une participation matérielle et concrète au fonctionnement de la nébuleuse OTS.
C’est la même thèse que l’avocat général a soutenue en reprochant à M. Tabachnik d’avoir dévoyé par son enseignement et l’élaboration de certains rituels de l’OTS, la « tradition de l’ésotérisme », se comportant dès lors comme un véritable gourou. Durant un réquisitoire qui pour sa dernière partie a pu sembler relever par moment davantage de l’ésotérisme comparé que d’un réquisitoire classique, le ministère public a bâti son accusation sur un distinguo assez hermétique entre la notion de « cérémonie » et celle de « rituel », celle d’ésotérisme et d’exotérisme, la faute d’un Tabachnik présenté par lui comme « cupide et assoiffé de considération » étant dès lors à ses yeux d’avoir fait vivre aux adeptes des cérémonies qui les plaçaient dans une relation de « soumission » due à l’irrationnel des mises en scène.
L’avocat général a démontré l’existence d’une résolution d’agir en commun, au moins entre Jo Di Mambro et M. Tabachnik. Pour lui, M. Tabachnik a participé à l’envoûtement des adeptes et il n’était pas dupe. Cette participation s’est manifestée dans ses écrits et lors des conférences d’Avignon.

Les buts de cette entente ont résidé dans l’enseignement d’une théorie énergétique.
Aux yeux de l’avocat général qui s’est inscrit dans l’analyse de l’expert judiciaire Abgrall, M. Tabachnik a « prêté la main, dès l’Epiphanie 91 à un projet criminel qui arrive à maturité en 94, projet dans lequel le transit remplace l’initiation suprême. La notion de transit est sous entendue depuis 90; elle est contenue dans les textes fondateurs ».
Dès l’origine l’enseignement de l’OTS pouvait conduire à un rituel de sacrifice par le feu.
Et l’avocat général d’accuser le prévenu qui tout au long des débats s’était borné à nier toute participation allant même jusqu’à soutenir que son enseignement n’avait pas de sens : « M. Tabachnik ne se présente jamais de face ; il dit souvent « j’ai été naïf ». J’essaierai de montrer, Mr Tabachnik que vous ne l’êtes pas ».
L’intention coupable implique que M. Tabachnik se soit intégré à ce groupe en connaissance de cause, avec une volonté d’apporter une aide efficace aux buts qu’il s’était assigné.
Cela suppose que M. Tabachnik savait, même de façon vague, les buts et le caractère répréhensible de l’association de malfaiteurs et l’avocat général s’est appuyé pour démontrer l’intention coupable sur des témoignages d’anciens adeptes.

Mais, et c’est ce qui a le plus dérouté les journalistes présents, il s’est également appuyé sur une analyse qui lui est propre de la personnalité de M. Tabachnik lequel, reprenant l’héritage de la bibliothèque paternelle est devenu « un kabbaliste imprégné de l’exigence du secret et alternant en permanence le voilé et le dévoilé, l’ésotérique et l’exotérique ». Pour l’avocat général, le profil ésotérique du prévenu l’inscrit dans la logique de la Rose-Croix entendue comme modèle d’une démarche individualiste qui le dissociait de la vie du groupe OTS et qui l’a amené à imposer un projet propre de transmutation ainsi qu’à annoncer la fin du cycle templier ce qui était la meilleure façon d’inscrire les adeptes dans une structure occulte. Et pour l’avocat général, Tabachnik est coupable d’avoir, en trahissant la Tradition ésotérique, créé des rituels, alors qu’ils devaient rester par essence hérités (donc immuables), ce qui revenait à inscrire les adeptes dans un cérémonial et un enseignement personnels qui les soumettait sans leur laisser la liberté de l’interprétation.

Pour l’avocat général, dès lors qu’on considère la dimension intellectuelle et culturelle du prévenu (chef d’orchestre qui était, dit-il, comme tous les musiciens asservi au réel), son intention coupable est encore plus manifeste puisqu’il était motivé par le profit matériel et le désir de soumettre.

Chacun attendait, au terme de ce réquisitoire inhabituel, une demande de condamnation que l’avocat général n’a pas chiffrée mais a présentée comme devant être la nécessaire sanction de l’erreur dont il a « donné des pistes en livrant la complexité de ce dossier », M. Tabachnik ayant fourni aux adeptes (qualifiés par l’avocat général de « menu fretin » privé de la liberté d’interprétation) les éléments de la partition qui les a « asservis au réel ». L’intention coupable de M. Tabachnik réside, pour l’accusation, dans sa position d’intellectuel et de chef d’orchestre qui était « le seul à ne pas recourir à la mimésis ».
Ces propos étaient de nature à dérouter par leur hermétisme apparent, mais ils recouvraient en réalité une volonté d’entrer en voie de condamnation en soutenant l’accusation, le parquet ayant bel et bien relevé appel de la décision de première instance.

Novembre 2006