Bénédiction de l’utérus, une pratique qui attire de nombreuses femmes

Nées en 2012, à l’instigation de l’anglaise Miranda Gray, les bénédictions de l’utérus connaissent un succès important dans les cercles liés au féminin sacré.

Proposées à divers tarifs par les Moon Mothers, les séances de bénédiction proposent aux femmes de se réconcilier avec leur utérus. Elles peuvent être individuelles comme collectives. Une journaliste du Monde, qui a assisté à une séance collective en Bretagne, raconte qu’il s’agit d’un « soin énergétique », sans contacts physiques, qui « consiste en plusieurs méditations guidées ». A l’issu « du soin », l’organisatrice explique que les femmes présentes vont entrer dans un cycle de renaissance de 28 jours au cours duquel elles vont être plus sensibles, ou se sentir fatiguées et il les invite à « être douces envers elles-mêmes ».

Afin d’obtenir une certification pour devenir Moon Mother, l’organisatrice a dû suivre le premier niveau de formation en « Womb Bessing ». A ce jour dans le monde 7 613 femmes, dont 1289 en France, ont été formées. Pour obtenir le premier niveau de Moon Mother trois stages de deux jours, chacun facturé 300 euros, sont nécessaires. En France, 71 femmes ont complété les trois niveaux de formation et une cinquantaine ont validé le niveau supplémentaire permettant de pratiquer à distance la bénédiction de l’utérus. Seules huit femmes dans le monde ont été formées par Miranda Gray pour enseigner au même niveau qu’elle.

Dans son livre L’Eveil de l’énergie féminine, paru en 2019, Miranda Gray raconte qu’intriguée par les « variations d’énergies » qu’elle percevait en elle, elle s’est intéressée aux cycles menstruels et au féminin sacré dès les années 1980. Elle a publié son premier livre sur le sujet en 1994. Intitulé Lune Rouge, c’est devenu un bestseller, vendu à 40 000 exemplaires en France. Cet ouvrage est aussi la « Bible » des Moon Mothers. C’est à cette période que cette illustratrice de profession s’est aussi intéressée aux approches énergétiques et s’est formée au reiki.

Dans les années 2000 devant une recrudescence de l’intérêt pour le féminin sacré, elle doit répondre à de plus en plus de demandes d’ateliers sur le cycle féminin. Elle dit avoir ressenti sa première bénédiction de l’utérus lors d’une séance de méditation en 2011. Afin de partager son expérience, elle décide d’organiser la première bénédiction collective de l’utérus. Elle y invite vingt de ses amies et leur propose d’inviter d’autres femmes de leur cercle. Le succès est au rendez-vous. Le jour J 6029 femmes, de 80 pays différents, sont réunies pour recevoir ce « soin » à distance. Depuis, quatre cérémonies gratuites sont organisées chaque année. Un bon moyen pour Miranda Gray « de faire connaître ses livres et ses formations ».

La système mis en place semble suffisamment lucratif pour permettre à Miranda Gray de ne vivre que de la vente de ses livres et de ses conférences. Selon elle, les revenus provenant des formations seraient réinvestis dans la logistique, les déplacements et son site internet. Mais, d’après la journaliste du Monde, ces tâches sont aussi largement effectuées par des bénévoles. Il est à noter que les professeurs lui reversent une commission « pour l’utilisation de ses techniques ».

Affirmant que « l’utérus est le centre énergétique le plus puissant chez la femme », Miranda Gray a développé une théorie selon laquelle le cycle menstruel des femmes serait découpé en quatre phases, toujours les mêmes. Selon elle, les femmes devraient adapter leurs tâches en fonction de ces phases appelées « archétypes » afin de ne pas aller contre le cycle naturel.

Deux Moon Mothers rencontrées par la journaliste du Monde expliquent avoir adapté leur emploi du temps à ces « archétypes ». Pour elles, être Moon Mother leur donnerait l’occasion de se sentir elles-mêmes et de ne pas culpabiliser en cas de fatigue.

Contactée par le Monde à ce sujet, la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale a déclaré que « ce modèle d’archétypes n’a aucune validité scientifique ».

La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), qui a consacré un chapitre au féminin sacré dans son rapport paru en 2022, invite les femmes à adopter « une vigilance particulière à l’égard de ce type de mouvement qui essentialise les femmes en les réduisant à des organes génitaux ou des facultés reproductives ». Un porte-parole de la Miviludes rapporte que la Mission aurait reçu plusieurs demandes sur les bénédictions de l’utérus. Il prévient que les pratiques liées au féminin sacré peuvent « susciter de réels problèmes, surtout vis-à-vis d’un auditoire pouvant être constitué de personnes en situation de vulnérabilité » telles que celles qui souffrent d’endométriose.

En effet, explique Philip Deslippe, spécialiste des nouvelles spiritualités et doctorant à l’université de Santa Barbara en Californie : « ceux qui sont attirés par ces mouvances sont souvent ceux qui ont souffert et sont à la recherche d’explications et de guérison, ce qui en fait des individus particulièrement vulnérables. »

Miranda Gray précise qu’elle propose la bénédiction de l’utérus « comme une thérapie complémentaire qui peut parfois soulager », mais qu’elle « ne donne pas de conseils médicaux ». Lors des formations, un « code de pratique » précise bien que les praticiennes ne doivent en aucun cas donner un diagnostic afin de ne pas être accusées d’exercice illégal de la médecine.

Néanmoins, il convient d’être prudent avec les thérapies énergétiques. Julien Nizard, professeur à l’université et médecin au CHU de Nantes qui reçoit parfois des patientes attirées par ce genre de propositions, a pour habitude de poser quatre questions pour les tester : « est-ce que le praticien a un diplôme reconnu par l’Etat ? Est-ce que la pratique qu’il ou elle propose respecte un protocole reproductible ? Qu’est-ce qui détermine le coût de cette pratique, est-ce un tarif fixe qui est le même partout ? » Sa conclusion concernant la bénédiction de l’utérus est sans appel, elle « ne passe pas le test. »

Cynthia Eller, spécialiste du féminisme et ancienne professeure à l’université Montclair State University (New Jersey) ajoute que cette idée du féminin existait déjà dans les années 1980 et adoptait déjà les mêmes codes. Pour elle, « cette communauté s’appuie sur un idéal de féminité traditionnelle qui ne correspond pas à toutes les femmes. » 

(Source : Le Monde, 07.10.2023)

  • Auteur : Unadfi