À l’occasion de la venue de Neale Donald Walsh en juin à Paris, une équipe de journalistes du Magazine Society a passé trois jours avec lui pour essayer de comprendre l’engouement qu’il suscite auprès du public depuis près de 30 ans.
Neale Donald Walsh est un miraculé. Du moins c’est ce qu’il prétend. Après des années d’errements qui l’ont conduit à s’intéresser aux NDE (expériences de mort imminente) en rejoignant l’une de ses pionnières Elisabeth Kubler Ross, et à se marier six fois, il est victime d’un grave accident de la route. Sa vie s’écroule et il se retrouve à la rue. Tombé au plus bas, il interpelle Dieu, qui lui aurait répondu et prodigué des conseils pour reprendre sa vie en main. Ces échanges seront publiés sous le titre de « Conversation avec Dieu », un livre au succès phénoménal qui sera resté 137 semaines dans la liste des best-sellers du New York Times et traduit en 37 langues. Depuis ce succès, il pense devoir transmettre la recette de sa réussite à tous et il enchaîne les conférences, les stages et les publications.
Lors de son passage à Paris, il a un emploi du temps millimétré. Interviewes à la radio et conférences de presse s’enchaînent jusqu’au point d’orgue le 20 juin, la conférence « exceptionnelle » donnée à guichet fermé au Grand Rex qui réunira 2 000 spectateurs.
Neale Donald Walsh doit sa venue en France à l’un de ses fervents admirateurs, Jérôme Oliveira qui l’a découvert, il y a une quinzaine d’années, alors qu’il cherchait à « être mieux ». Depuis, le développement personnel est devenu son fonds de commerce via sa plateforme My Whole Project grâce à laquelle, celui qui se définit comme diffuseur de « mainstream happiness », a fait venir en France Deepak Chopra ou Eckhart Tolle, deux autres figures du développement personnel.
Avec leur littérature « inspirationniste » et leurs « stages d’introspection », des auteurs comme Neale Donald Walsh ou Tony Robbins ont fait exploser le secteur du développement personnel.
Pionnier sur le marché du bien-être et de la spiritualité, l’éditeur français de Neale Daonald Walsh, Guy Trédaniel, publie depuis les années 1970 les traductions d’ouvrages du Dalaï Lama. A l’époque quasiment seul sur le secteur, il subit aujourd’hui la concurrence de grands éditeurs qui se sont engouffrés dans ce créneau lucratif et prometteur. Le rayon « développement personnel » a pris une grande ampleur dans les librairies et n’est pas sur le point de s’arrêter, puisqu’en 2016, il a rapporté 53 millions d’euros de chiffre d’affaire tandis que le « secteur spiritualité ésotérisme » a connu une croissance de 12 %.
Ces auteurs ont plusieurs points communs : avoir connu un accident de vie, avoir la certitude que tout ira bien si l’on suit leurs préceptes, et être majoritairement de culture anglo-saxonne. Nathalie Luca, chercheuse au CNRS, explique ce dernier point par la montée du néolibéralisme et de l’individualisme qui a obligé l’individu à devenir « entrepreneur de lui-même ». Ce n’est plus à l’État ou à l’Église de prendre en charge le bien-être de la population. Pourtant l’injonction au bonheur se fait de plus en plus forte, si bien que l’ONU ou l’OCDE en sont venus à créer des indices de bonheur. L’origine américaine de cette tendance s’explique aussi, selon l’éditeur Guy Trédaniel, par la relation particulière et très personnelle que les américains entretiennent avec Dieu, mais aussi par l’idée chère au protestantisme que « tout est possible si on fait un travail sur soi ».
Le jour de l’évènement, 2 000 personnes ayant payé leur entrée entre 35 et 150 euros, se pressent devant le grand Rex. À l’entrée, un disciple distribue des flyers pour un stage d’expérience du divin au tarif de 258 euros. Il explique aux journalistes que ce sont des difficultés diverses et « une pression infernale » qui l’ont amené à s’intéresser au développement personnel. Il assure y avoir retrouvé « du lien social ». Une autre spectatrice, au bord du désespoir, espère trouver des réponses lors de cette soirée. Ayant suivi les injonctions à devenir elle-même, prônées par les ouvrages de Neale Donald Walsh et Eckhart Tolle, elle a abandonné son travail, vendu son appartement pour ouvrir un salon de coiffure dans le lequel elle a placé toutes ses économies et est aujourd’hui au bord de la faillite.
Une heure et demie avant le début du spectacle, les spectateurs qui ont payé le prix fort ont le « privilège » d’être reçus par le maître en personne. En dehors de ses conférences il propose d’autres services payants comme des retraites spirituelles de 90 jours à 2300 dollars ou des consultations téléphoniques. Les autres gourous du bien-être ne sont pas en reste en matière de profit, puisque Eckhart Tolle a déjà écoulé plus de huit millions d’exemplaires de son livre « Le pouvoir du moment présent », tandis que la fortune de Tony Robbins est estimée à 500 millions de dollars.
Après trois jours passés avec Neale Donald Walsh, les journalistes de Society se demandent comment qualifier son public : disciples, adeptes, fans, pigeons ? Nathalie Luca « rejette le côté sectaire de l’affaire ». Ainsi Walsh, Tolle, Robbins n’existent que « parce qu’ils viennent remplir un trou, toujours le même : la fameuse « crise du croire », la remise en cause de la science, du rationalisme et des institutions, qui traverse nos sociétés et fait aussi le sel du complotisme et du populisme actuels ». Quant à Neale Donald Walsh, il balaie d’un revers la qualification de gourou et se prétend messager : « Je ne dépense aucune énergie mentale à réfléchir à ce que les gens pensent de moi. Je ne suis définitivement pas un gourou ».
(Source : Society, 13.07.2019 au 07.08.2019)