L’ostéopathie interne, entre promesses illusoires et gestes illégaux

Malgré la popularité de l’ostéopathie, de nombreuses dérives sont à signaler, en particulier pour l’ostéopathie interne.

Problèmes de cervicales, entorse récalcitrante, douleurs au dos… Afin de soulager de nombreux maux, certains ostéopathes proposent de faire appel à l’ostéopathie interne, qui consiste à insérer leurs mains dans le vagin ou le rectum de leurs clients, afin d’améliorer l’accès et les possibilités de manipulation de leurs os et de leurs organes. Il s’agit pourtant d’une pratique interdite, dont l’intérêt n’a jamais pu être démontré, et qui ne repose sur aucune base scientifique. Fait alarmant, dans l’immense majorité des cas, ces gestes visent à traiter des problématiques féminines.
L’Express a mené une enquête sur cette PSNC florissante, rarement référencée sur les plateformes médicales comme Doctolib. Il est toutefois très facile d’avoir accès aux praticiens d’ostéopathie interne à partir d’un moteur de recherche ou des réseaux sociaux, où ils sont nombreux à faire la promotion de leur activité. Les prétentions sont nombreuses : « soulager les douleurs du bassin », « restituer la mobilité […] de l’appareil génital », « aider à résoudre des problèmes d’infertilité ou de grossesse ».
Certains thérapeutes prétendent même pouvoir traiter des pathologies complexes, encore peu comprises et mal traitées par la médecine, comme l’endométriose ou le syndrome des ovaires polykystiques. Des promesses qui peuvent s’avérer attrayantes pour des patientes en errance et en souffrance. Ces dernières ont rarement connaissance du caractère problématique de certains gestes des praticiens, et en cas de suspicion, n’osent pas forcément se confronter à l’autorité du thérapeute. Les plaintes sont donc rares, et concernent principalement des accusations d’acte à caractère sexuel. Or, les procédures s’avèrent généralement complexes, car un viol est plus difficile à prouver auprès de la justice qu’une dérive thérapeutique.
De plus, les patientes se voient parfois recommander l’ostéopathie intrapelvienne par des professionnels de santé : médecins et sage-femmes font parfois eux-mêmes la promotion de cette pratique, en particulier quand la patiente souffre d’une pathologie chronique. De façon similaire, certaines associations de malades promeuvent l’ostéopathie intrapelvienne : sur le site de Fibrome Info France, on pouvait récemment encore lire que cette pratique « traite les causes » et favorise « l’autoguérison » du cancer de l’utérus.
Depuis 2007, date de la réglementation de l’ostéopathie par décret, ces manipulations internes sont interdites. Pourtant, en l’absence de contrôle et face à la normalisation de ces gestes, cette pratique perdure. Elle est d’ailleurs encore promue dans plusieurs écoles d’ostéopathie française, comme en témoignent des étudiants interrogés par l’Express qui expliquent avoir été incités à contourner la loi.
Par ailleurs, certains ostéopathes, titulaires d’un diplôme médical ou paramédical, bénéficient d’un flou juridique : en effet, ces gestes ne sont pas formellement interdits pour certains professionnels de santé, comme les médecins, sage-femmes ou kinésithérapeutes. Pour pouvoir réprimander l’auteur de manipulations internes, il faut démontrer que ces dernières ne respectent pas les protocoles ou s’opposent aux données acquises de la science – une démarche complexe. Certains ostéopathes profitent donc de ce cadre : « Au pire, l’Ordre me radiera, et je serai tranquille », s’aventure un praticien interrogé par l’Express. En effet, en cas de radiation de leur Ordre, ces thérapeutes perdent leur casquette de professionnels de santé mais conservent celle d’ostéopathe : cette activité n’étant pas encadrée, notamment en termes de déontologie professionnelle, les poursuites ne peuvent être engagées qu’à travers un tribunal judiciaire. L’ostéopathie intrapelvienne concerne 15% des affaires traitées par l’Ordre des kinésithérapeutes, alors que les kinés-ostéopathes ne représentent que 3% effectifs. Les sanctions sont rarement appliquées : selon l’ordre, il n’y en aurait eu qu’une dizaine en treize ans.
Au-delà du manque de fondement scientifique de l’ostéopathie intrapelvienne, certains thérapeutes font appel à des théories ésotériques pour appuyer leur pratique, comme Véronique de la Cochetière. Cette ostéopathe et sage-femme, intervenant souvent à l’antenne de Sud Radio, prétend « contacter l’histoire de ses patientes » au moyen de touchers vaginaux. Elle estime ainsi que : « Dans les tissus du périnée vaginal, vous avez votre psychogénéalogie, vous, ce que vous êtes, vos créateurs, vos parents, vos grands-parents. Et dans le rectum, il y a tous les refoulements ». Des propos culpabilisant et dangereux, signe des dérives pouvant être associées à l’ostéopathie intrapelvienne.


(Source : L’Express, 08.12.2024)

  • Auteur : Unadfi