Mi-septembre, un essai clinique illégal de grande ampleur qui se déroulait clandestinement dans une abbaye proche de Poitiers a été découvert par l’Agence National de Surveillance du Médicament (ANSM).
L’expérimentation, qui ne touchait pas moins de 350 patients, consistait en l’application de patchs contenant deux molécules censées traiter des maladies neurologiques (Parkinson Alzheimer…) : la valentonine et 6-méthoxy-harmalan. Se déroulant en toute illégalité, elle a été immédiatement interdite par l’ANSM car si les molécules sont proches de la mélatonine, leurs effets secondaires sont inconnus. L’agence a, en outre, décidé de saisir le pôle santé du parquet de Paris car selon Bernard Celli, directeur de l’inspection à l’ANSM, il s’agit « d’une atteinte grave au code de la santé publique et au code pénal », d’autant plus qu’il aurait été demandé aux patients d’arrêter leur traitement pendant les essais ce qui leur fait courir de graves risques pour leur santé.
Les expériences étaient menés par le Fonds Josefa, un fonds de dotation à but non lucratif dont le vice-président, le professeur Henri Joyeux et son fondateur Jean-Bernard Fourtillan sont tristement connus pour leurs positions anti-vaccins. Ils ont conjointement été mis en place par la société Sodeval, exploitante de la valentonine et propriété de Jean-Bernard Fourtillan. Les deux entités ont leur adresse au domicile de ce dernier. Parmi les autres dirigeants on peut noter la présence d’une religieuse chargée de l’aspect spirituel. Le Fonds Josefa est chargé de financer le développement de la valentonine, « les droits de propriété intellectuelle des brevets » des molécules testées lui ont été cédés. Selon des informations, obtenues par Le Parisien, des participants auraient été sollicités pour effectuer des dons au Fonds « pour rester libres de tous les lobbies industriels ». Tandis que d’autres auraient dû débourser 1 500 euros pour payer leur patch.
Le professeur Jean-Bernard Fourtillan, revendique la découverte de la valentonine dont l’effet supposé serait de « protéger notre organisme et assurer la régulation des vies psychiques et végétatives. » Sur le site du Fonds Josefa, il explique avec un vocabulaire mystique la découverte de la valentonine. Elle « m’est apparue en quelques secondes, alors que je me trouvais dans des circonstances exceptionnelles. J’étais sans doute la bonne personne au bon moment (…), dans ma petitesse d’homme de foi aimant et écoutant Dieu, fort de mes connaissances dans des domaines aussi variés que la chimie, les sciences pharmaceutiques et médicales. » Dans un récent courrier, les professeurs Joyeux et Fourtillant révèlent des conclusions étranges sur l’étiologie de la maladie de Parkinson auxquelles ils sont parvenus en étudiant un groupe de 140 patients. Selon eux, tous auraient reçu des métaux lourds, aluminium, mercure, plomb via des vaccins, des pansements gastriques ou les plombages dentaires.
Selon M. Celli, les essais qui avaient débuté depuis un an se déroulaient en grande partie à l’abbaye Sainte-Croix où les patients séjournaient une nuit, au cours de laquelle un patch leur était appliqué et une prise de sang effectuée. C’est la découverte de ces prélévements lors d’un contrôle dans un laboratoire qui a permis de mettre fin aux essais. L’enquête a révélé que 372 analyses ont été facturées par le laboratoire à la société Sodeval.
L’ANSM enquêtait depuis l’alerte lancée par le professeur Philippe Damier du CHU de Nantes suite aux confidences qu’un patient atteint de la maladie de Parkinson avait faites à l’une de ses collègues. L’homme n’osait pas parler de sa participation aux essais car il lui avait été demandé, par les organisateurs, de se taire.
De son côté, la Miviludes avait aussi été alertée « sur les agissements inquiétants » du Fonds Josefa. Entre novembre 2018 et février 2019, elle a reçu trois signalements. Selon les informations recueillies par la Miviludes, trois soirées ont été organisées, en trois lieux différents, pour « des professionnels de santé susceptibles d’avoir dans leur patientèle des malades atteints de maladies neurologiques. Anne Josso, secrétaire générale de la Miviludes, raconte que dans « ces soirées on mélangeait religieux et médical » avec « un discours scientifique ».
Pour l’instant, le professeur Joyeux n’est pas concerné par les mesures prises à l’encontre du Fonds Josefa et de son fondateur, le professeur Fourtillan. Ce dernier convoqué par l’ANSM le 19 juin, s’est contenté d’envoyer un courrier dans lequel il précise « qu’un dossier de données précliniques serait en cours de préparation afin de déposer (…) une demande d’autorisation. » Mais l’agence n’en n’a trouvé aucune trace. Malgré les poursuites à son encontre, il persiste et refuse de mettre un terme à ses travaux.
Henri Joyeux, quant à lui réfute le terme d’essai clinique et parle d’une « étude scientifique préalable à un essai clinique ».
Interrogée par France Inter à ce sujet, la ministre de la santé Agnès Buzyn s’est dite horrifiée et a dénoncé « une faute lourde » et a ajouté qu’il y « aura des sanctions et des poursuites ».
Le 27 septembre le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire pour « abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse d’une personne » et « exercice illégal de la profession de pharmacien ».
Vendredi 4 octobre, le Conseil national de l’Ordre des médecins a engagé des poursuites disciplinaires à l’encontre d’Henri Joyeux et sept autres médecins impliqués dans le Fonds Josefa, « pour violation notamment des articles 15 (recherches impliquant la personne humaine), 39 (charlatanisme) et 40 (risque injustifié) du code de déontologie ». Le Conseil a également « pris la décision de se constituer partie civile dans le volet pénal de cette affaire ». En revanche, il ne peut engager de procédure contre Jean-Bernard Fourtillan car il est pharmacien.
(Sources : Sciences et Avenirs, 19.09.2019, Le Parisien, 19.09.2019, Le Figaro Santé, 20.09.2019, Huffpost, 20.09.2019, La République des Pyrénées, 21.09.2019, Ouest-France, 23.09.2019, France TV Info, 24.09.2019, JIM, 25.09.2019, Le Figaro, 30.09.2019, Le Monde 03.10.2019 & Sciences et Avenir, 04.10.2019)
À savoir
Henri Joyeux
Professeur reconnu pour ses travaux en cancérologie et médecin honoraire de la Faculté de médecine de Montpellier, Henri Joyeux fait régulièrement parler de lui pour ses positions controversées sur la vaccination.
Il s’est vu infliger plusieurs sanctions de l’Ordre des médecins, jusqu’à la radiation. Bien qu’elle ait été levée par la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins, celui-ci doit prochainement faire face à la justice suite à l’annulation de la décision qui l’avait réhabilité par le Conseil d’Etat1.
Depuis le 19 septembre, il est à nouveau mêlé à une affaire qui défraie la chronique. Lui et le professeur Fourtillan seraient à l’origine d’un essai clinique illégal qui aurait touché plus de 350 patients.
Désavoué par la grande majorité de la communauté scientifique, il se présente comme un lanceur d’alerte sur des sujets très éloignés de son champ de compétence et un spécialiste du bien-être et de « l’alimentation naturelle ». Dans son livre Changez d’alimentation, publié en 2016, il explique comment stopper les symptômes de nombreuses maladies en choisissant les « bons aliments ». Fort de 150 000 abonnés sur sa page Facebook, il a fait de sa croisade pour la santé, un commerce lucratif. Il multiplie les ouvrages, donne des conférences, dans toute la France, organise des « webinaire » payants sur Internet via l’association Famille santé prévention, dont il est le fondateur. En échange d’une cotisation annuelle de 25 euros, il met à la disposition du public une équipe de dix-sept bénévoles qui dispensent des conseils santé. La cotisation donne aussi le droit une réduction de 10% sur divers articles tels que du chocolat, du silicium, un appareil de cuisson vapeur, le Vapok, recommandé par « Christine Bouguet-Joyeux, l’épouse du professeur, qui possède elle aussi son site personnel consacré à l’alimentation ».
Mais ce n’est pas son seul cheval de bataille, depuis plusieurs années il dénonce les prétendus dangers de la vaccination, tout en se défendant d’y être opposé. Pourfendeur des lobbys pharmaceutiques, il s’en prend en 2014 au vaccin contre le papillomavirus et à la suggestion du Haut Conseil de Santé publique d’abaisser l’âge de la vaccination à neuf ans. Quelques années plus tard, la pétition qu’il lance contre le vaccin hexavalent, lui vaudra un fort engouement populaire, plus d’un million de signatures.
Dans sa croisade anti-vaccination il est soutenu par le professeur Luc Montagnier, codécouvreur du Sida, avec lequel il donne de nombreuses conférences. Parmi ses autres soutiens on peut citer également Pierre Rabhi.
Médecin aux idées rétrogrades, selon les propos de Marisol Touraine, il est contre la pilule et l’avortement. Proche des milieux catholiques traditionnalistes, il a été pendant plus de dix ans président de l’association conservatrice Famille de France. Sur son site, il s’oppose au mariage pour tous et à la théorie du genre. Dans les années 1990, dans l’un de ses livres il présente l’homosexualité comme une série de « carences affectives du coeur, du sentiment, du corps dont on peut progressivement s’éloigner si on les comprend bien et si on les analyse bien ».
En 2014, il trouvera une alliée inattendue en la personne de Sophie Marceau qui l’invite à se joindre à elle dans l’émission de Michel Drucker. Ce qui lui vaudra de jouir d’un pic de popularité auprès du grand public comme spécialiste de la nutrition.
Mais ses soutiens sont loin de faire l’unanimité. Dans les années 1990, il fut l’un des défenseurs de l’instinctothérapie, une théorie pseudo-médicale érigée par Guy Claude Burger reposant sur des principes nutritionnels prétendant qu’il est possible de soigner des maladies incurables par une alimentation crue. Henri Joyeux a préfacé les ouvrages de deux de ses promoteurs, Bruno Comby et Jean Seignalet2. Mais suite à la condamnation de Guy Claude Burger à 15 ans de prison pour viol sur mineurs, il a pris ses distances avec le groupe.
(Source : L’Express, 20.09.2019 & Le Monde, 03.10.2019)
1. Le professeur Joyeux sera rejugé par le Conseil de l’Ordre: https://www.unadfi.org/domaines-dinfiltration/sante-et-bien-etre/le-professeur-joyeux-sera-rejuge-par-le-conseil-de-lordre/
2. Jean Seignalet s’était éloigné du l’instinctothérapie à la fin des années 1990.