
Bien que le nombre d’adeptes des théories du complot ne semble pas avoir explosé depuis le début des années 2000, leur impact social et politique s’est fortement accru. De QAnon à la pandémie de Covid-19, des croyances prospèrent dans un contexte de défiance généralisée envers les institutions et d’insécurité croissante.
Stéphanie Tremblay, professeure au Département des sciences des religions de l’UQAM, affirme que l’impact des conspirationnistes est aujourd’hui plus grand qu’au début du siècle. Si le complotisme reste difficile à quantifier, faute de sondages réguliers, il est loin d’être une mode passagère et son impact sur la vie politique et sociale est croissant. Pour preuve : des figures publiques du complotisme occupent aujourd’hui des postes stratégiques. On peut, par exemple, citer l’élection de Marjorie Taylor Green, adepte de QAnon, au Congrès américain en 2021, ou encore la nomination de Robert F. Kennedy Junior, antivax notoire.
Les théories du complot répondent à des besoins psychologiques fondamentaux. Selon Karen Douglas, chercheuse en psychologie à l’Université du Kent, elles comblent trois types de besoins : épistémiques (recherche de réponses en période de crise), existentiels (sentiment de contrôle et sécurité) et sociaux (appartenance et valorisation personnelle). « Ces croyances apportent un sens et un sentiment de contrôle à des personnes en quête de réponses », explique-t-elle.
Des théories amplifiées par la confusion entre fiction et réalité
La pandémie a constitué un terrain fertile pour les croyances complotistes, amplifiées par la désinformation sur les réseaux sociaux. Stéphanie Tremblay souligne un paradoxe : bien que les jeunes sondés après la pandémie se disent conscients du manque de fiabilité des réseaux sociaux, ils consomment de moins en moins les médias traditionnels. « Ils trouvent les médias traditionnels plus dignes de confiance, mais ne se tournent pas vers eux. Quand ils ont un doute, ils interrogent leurs parents », précise-t-elle. En revanche, cette génération semble développer une forme de « relativisme ». Selon Stéphanie Tremblay, « ils accordent une importance centrale à la liberté d’expression et au pouvoir individuel de décider ce qui est vrai ou faux ».
Certaines théories conspirationnistes trouvent leurs racines dans la confusion entre fiction et réalité. Il a ainsi été démontré que 24 heures chrono ou District 31 sont parfois utilisés pour appuyer des récits complotistes. « La fiction devient un point de repère rassurant pour certains. Ils disent que si on le voit dans ce film, cela pourrait être vrai », observe Stéphanie Tremblay.
Ce mécanisme nourrit également des discours extrémistes. « On va accorder plus de crédibilité à ceux qui se positionnent contre le gouvernement. Mais ce type de raisonnement sert souvent l’extrême droite et le populisme », avertit-elle.
Le complotisme s’enracine également dans un contexte de défiance envers la science. Michel Belley, président des Sceptiques du Québec, constate que « la science est davantage attaquée » qu’à la création de l’organisme dans les années 1980. Il déplore que « les gens lisent moins les journaux et s’informent davantage sur les réseaux sociaux ».
Le psychologue français Thierry Ripoll, lors d’une conférence en 2022, estimait qu’il n’y aurait pas de complotisme dans une société qui satisferait le plus grand nombre. « Le phénomène traduit souvent une détresse sociale : les individus marginalisés par le fonctionnement de la société trouvent dans les théories du complot une explication à leur situation ». Pour ces observateurs, il n’y a pas de secret : « pour lutter contre le complotisme, il faut lutter contre la désinformation en développant l’esprit critique et renforcer la confiance en les institutions ».
(Source : Le Devoir, 26.12.2024)
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