Pourquoi une frange de la population est-elle persuadée que des complots malveillants sont orchestrés par des groupes puissants et secrets ? C’est ce qu’ont tenté de comprendre des chercheurs en se basant sur des données scientifiques. Ils viennent de publier leurs premiers résultats dans la revue Psychological Bulletin.
Les théories du complot représentent une facette complexe de la culture humaine. Elles sont souvent définies comme des croyances attribuant la cause d’événements à des complots secrets et malveillants orchestrés par des groupes puissants et secrets. Ces théories prospèrent généralement en raison du manque de preuves définitives, s’appuyant plutôt sur des détails suggestifs, ambigus ou circonstanciels. Elles émergent en réponse à des événements sociaux importants, parfois traumatisants, offrant des explications alternatives qui remettent en question les comptes rendus officiels ou la compréhension générale.
À l’ère numérique, où l’information et la désinformation se propagent rapidement, comprendre la psychologie derrière ces croyances est devenu plus crucial que jamais. Dans une des études les plus étendues à ce jour1 des chercheurs ont croisé 170 études reconnues impliquant au total 158 473 participants.
« Il en ressort que la croyance conspirationniste est encore plus psychologiquement complexe que je ne le pensais initialement », a déclaré Bowes, directrice des recherches. Pour elle, « la pensée conspirationniste est motivée par trois besoins clés : comprendre son environnement, se sentir en sécurité, et maintenir une image supérieure de soi et de son groupe social ».
Le poids de l’environnement social
L’étude montre que les individus présentant des niveaux plus faibles de pensée analytique et de réflexion cognitive étaient plus enclins à adhérer aux théories du complot. Ce qui suggère qu’une approche moins critique du traitement de l’information pourrait prédisposer les individus à accepter des idées non vérifiées ou spéculatives. La croyance dans les théories du complot serait aussi fortement liée aux sentiments d’impuissance, de menaces existentielles et à un sentiment général de cynisme envers le monde. Ces résultats soulignent que les individus qui perçoivent le monde comme un endroit menaçant et incontrôlable sont plus susceptibles de pensée conspirationniste. Ce qui pourrait être pris comme une réponse psychologique à l’incertitude et à un environnement chaotique, les théories du complot procurant alors un sentiment de compréhension et de contrôle.
L’étude a également éclairé le rôle des facteurs sociaux. Les sentiments d’aliénation et de faible estime de soi offrent une probabilité plus élevée d’adhérer aux théories du complot, tout comme une perception des groupes extérieurs comme menaçante et négative.
Ces résultats suggèrent que la façon dont les individus perçoivent leur relation avec la société et leur environnement social peut influencer leur perméabilité aux théories du complot.
D’autres études nécessaires pour comprendre
Les chercheurs ont également exploré la relation entre l’idéalisation conspirationniste et les traits de personnalité en référence aux plages normale et anormale. Ils ont constaté que cette idéalisation était fortement liée à des traits de la plage anormale, tels que la schizothymie, la paranoïa, la propension à vivre des expériences inhabituelles, le psychotisme et l’hostilité. Ces traits sont associés à un fonctionnement altéré et à une perception négative des autres et des événements.
Le manque d’humilité semble aussi un marqueur notable de la pensée conspirationniste.
Ces éléments tendent à démontrer que l’attirance pour le conspirationniste est plus liée à la psychopathologie et à certains troubles de la personnalité qu’à un fonctionnement général de la personnalité.
Selon Bowes, trois marqueurs sont à prendre en compte : la propension à avoir des croyances et expériences inhabituelles, la perception de menace et de danger, et le comportement antagoniste ou le sentiment d’être supérieur aux autres.
Malgré sa nature exhaustive, l’étude présente des limites. La plupart des recherches incluses ont été menées dans des pays anglophones occidentaux, soulevant des questions sur l’applicabilité des résultats à différents contextes culturels. Une autre limitation significative est la nature transversale des données, ce qui entrave la capacité à déterminer la causalité ou l’ordre temporel des relations observées. « Des travaux longitudinaux et expérimentaux seront encore nécessaires pour aborder les causes de la croyance conspirationniste ».
(Source : Le Monde, 19.01.2024)
1.L’étude, intitulée The Conspiratorial Mind : A Meta-Analytic Review of Motivational and Personological Correlates, a été rédigée par Shauna M. Bowes, Thomas H. Costello, et Arber Tasimi.