Pour l’auteur, les notions d’endoctrinement et de charisme ne sont pas suffisantes pour expliquer que certains se ruinent ou même laissent leur vie dans l’aventure sectaire. Elle pense qu’il y a rencontre, dans la plupart des cas, entre les besoins inconscients du leader et ceux des adeptes.
Au besoin d’aduler de l’un (l’adepte) correspond le besoin d’être adulé de l’autre (le leader), au besoin de soumission correspond celui de domination, au besoin de renoncer à sa volonté et ses désirs propres correspond le besoin de s’arroger toutes les permissions et toutes les libertés sur le premier. Cette interdépendance qui se crée et se cultive au sein du groupe relève d’un type de relation perverse sadomasochiste où chaque partenaire n’existe qu’en fonction de son opposé. C’est une complémentarité » à la vie, à la mort « .
Sans nier que cette perversion puisse être sexuelle, l’auteur centre sa réflexion sur le besoin de l’adepte de se soumettre à un autre, imaginé comme » Grand « , comme possédant » La Vérité « , » La Réponse à ses questions « . Grâce à ce rapport d’idéalisation de l’adepte envers le leader, l’adepte se sent puissant et tire une satisfaction narcissique qui le gratifie au-delà des sacrifices que le leader peut exiger de lui. Subjectivement il se sent grandi par la relation qui le lie au chef et désire conserver, comme un trésor précieux, ce lien privilégié.
Tout ce qui pourrait en ternir l’éclat devient synonyme d’une menace, d’une crainte que cette relation d’unicité parfaite soit une illusion, d’où la nécessité d’ériger une barrière entre initiés et non initiés. Le Bon est dans la secte, le Mauvais est situé dans le monde extérieur, chez les non élus. La promesse du paradis tient donc dans cette relation particulière et sa soumission est jugée par lui comme un acte d’adoration et d’amour qui lui permet de vivre sur terre ce paradis.
Mais le leader de la secte n’est pas plus libre que ses fidèles. Il est, lui aussi, pris au jeu de l’illusion du paradis sur terre. Son paradis véritable est dans son besoin inconscient que l’adoration et l’idéalisation dont il est l’objet ne cesse jamais. Ceux qui doutent doivent être exclus, ceux qui aspirent à partager sa grandeur, déshonorés.
Donc l’équilibre d’une secte ne peut être maintenu que grâce à une extrême vigilance des adeptes entre eux afin de protéger leurs propres privilèges et, parallèlement, par un contrôle strict de la conduite et de la pensée des adeptes grâce à une ritualisation extensive et l’exigence d’une soumission entière au dogme radicalisé.
L’adepte, protégé du doute par le clivage et délivré de sa conscience par la servilité au leader, se sent aimé et protégé. Ses angoisses existentielles sont balayées.
C’est la menace d’effondrement ou la crainte de rupture de l’illusion de ce paradis partagé qui ouvre la voie à l’expérience de l’enfer et de la mort.
Pour le leader, l’enfer est constitué par la perte ou la menace de perdre le sentiment de toute puissance que lui confère sa fonction. En effet l’affaiblissement de l’adulation dont il est l’objet est vécue comme une attaque narcissique insoutenable. Tôt ou tard les limites de son omnipotence le font souffrir et l’envie de ce qu’il ne possède pas devient intolérable. Dans le même temps, il craint d’être l’objet de l’envie de la part de ses lieutenants et de ses fidèles. La brèche dans l’illusion de sa toute puissance l’entraîne sur le chemin de la méfiance et peut-être même sur le chemin de sa paranoïa.
Malgré tous les efforts déployés par le leader, ses lieutenants et ses adeptes pour maintenir l’illusion d’avoir découvert un paradis, tôt ou tard des émotions humaines échappant au contrôle souhaité par les uns et les autres deviennent la source d’une tension insoutenable au sein de la secte. L’angoisse réveillée, certains sont isolés comme boucs émissaires, identifiés comme responsables du bris de l’illusion, de la brèche dans l’expérience du paradis, de l’intrusion d’émotions et pensées étrangères à celles voulues par le leader et les autres adeptes, en un mot de la projection du Mauvais.
Ce danger de dissolution, provoqué par les tensions internes de la secte, donne souvent lieu à l’exclusion, au bannissement, parfois même à la mort du membre fautif.
La deuxième forme de menace à l’équilibre du groupe provient de l’extérieur. C’est lorsque la société, par ses représentants, exerce une pression, légitime la plupart du temps, que le risque d’implosion meurtrière devient le plus grand.
La seule issue pour retrouver l’illusion du paradis est de déplacer le lieu du paradis. L’alternative à la dissolution de la secte consiste à intensifier le clivage et la projection de l’idéal, du Bon ailleurs que sur terre. Désormais le Bon se trouvera dans la mort, dans l’Union avec le Grand Tout car toute vie sur terre est décevante et l’angoisse ne sera jamais surmontée.
Mais la liberté de choix est aussi inimaginable dans la mort qu’elle l’était dans la vie. En effet devant cet ultime renoncement, les enjeux psychologiques inconscients qui guident le leader sont exacerbés. Nul ne peut échapper au destin du groupe sans compromettre l’illusion. Ce qui ne pourra être garanti à travers la séduction comme manifestation de fidélité ultime le sera par la force. Tous doivent mourir pour sauvegarder jusqu’à l’ultime moment l’illusion.
D’après la communication de la psychiatre Dianne Casoni au colloque d’Interlaken » Sectes et occultisme. Aspects criminologiques » des 6-7-8 mars 1996.
source : BULLES, 4ème trimestre 1997