Rigpa dans la tourmente

Le 14 juillet 2017, huit des plus proches étudiants, retraitants, nonnes, moines de Sogyal Rinpoché ont adressé à leur maître, ainsi qu’aux 130 monastères de sa communauté, une lettre de sept pages dans laquelle ils dénoncent les abus commis par le gourou sous couvert d’enseignement du bouddhisme.

Divisée en quatre parties, leur lettre rapporte :

– « Les abus physiques, émotionnels et psychologiques perpétrés sur les étudiants,
– les abus sexuels perpétrés sur les étudiants,
– son mode de vie extravagant, avide et sybarite,
– ses actions qui ont souillé leur appréciation de la pratique du Darhma ».

Les auteurs de la lettre racontent que Sogyal Rinpoché, frappait les fidèles à la moindre contrariété : un repas trop froid, une connexion internet trop lente, un objet technologique défectueux. Abusant et outrepassant le principe de « folle sagesse »1, il leur infligeait des coups parfois si violents que certains en gardent toujours des cicatrices.

Selon les auteurs de la lettre, les dégâts psychologiques sont bien plus importants encore. Il faisait croire à ses adeptes que ces humiliations n’avaient d’autre but que de les libérer de leur ego. S’ils ne le suivaient pas inconditionnellement, ils mourraient dans d’atroces souffrances, ou leurs proches tomberaient malades à cause d’eux.
Pour les étudiants sur le point de craquer, il avait mis en place des séances de psychothérapie dont le but était de le disculper et de faire porter la responsabilité de leur mal-être à leur famille.

A la longue liste des abus physiques et psychologiques s’ajoutent les abus sexuels. Il abusait de son rôle de maître pour amener des jeunes femmes dans son lit et il partageait certaines d’entre elles avec un lama connu pour son « appétit » sexuel. Imposant d’autres sévices et contraintes à caractère sexuel, il se justifiait en déclarant : « c’est ainsi qu’un maître bouddhiste de folle sagesse se conduit, tout comme les adeptes tantriques du passé ».

Les auteurs réprouvent aussi son train de vie somptuaire et l’accusent d’avoir utilisé l’argent des étudiants pour satisfaire toutes ses envies. Les dons offerts par ses étudiants n’étaient pas, comme ils le croyaient, utilisés pour propager la sagesse et la compassion dans le monde, mais pour se distraire. Il exigeait d’avoir à sa disposition, 24 heures sur 24, des cuisiniers, des masseuses et un chauffeur qui le conduisait, lui et ses proches au restaurant, au cinéma, dans des centres commerciaux…

Aujourd’hui, certains se reprochent de l’avoir couvert, de lui avoir voué une entière dévotion et de lui avoir accordé tout leur confiance.
Leur prise de conscience n’a pas seulement remis en question l’image qu’ils avaient de Sogyal, mais a également terni l’appréciation qu’ils avaient du bouddhisme et de sa pratique.
Ils concluent leur courrier en affirmant que la plupart des critiques publiques formulées à son encontre sur Internet relatent des faits réels.

Au départ, réticents à communiquer cette lettre à la presse, ils ont finalement accepté de l’envoyer au journal Marianne qui avait déjà, par le passé, dénoncé les agissements de Sogyal Rinpoché. En 2011, la journaliste Elodie Emery révélait déjà ces abus sexuels et ces violences. Mais au lieu de changer, Sogyal a engagé une agence de communication pour redorer son image. En 2016, Marianne s’est fait l’écho du coup de tonnerre provoqué par la sortie de l’enquête accablante de l’anthropologue Marion Dapsance, Les dévots du bouddhisme qui provoquera le départ d’Olivier Raurich, le directeur de Rigpa France. Mais Sogyal Rinpoché ne sera toujours pas inquiété.

La lettre publiée le 14 juillet a, quant à elle, provoqué un véritable séisme au sein de Rigpa et dans le bouddhisme français. Ses auteurs, toujours dévoués à Rigpa, ne veulent pas porter plainte contre Sogyal Rinpoché, cependant ils espèrent qu’elle donnera le courage à d’autres de le faire.

Les instances bouddhistes françaises et internationales couvrent depuis plusieurs décennies les agissements du gourou et pourtant dès 1994 une adepte américaine avait porté plainte contre lui. Mais l’affaire s’était réglée par un arrangement financier.

Mathieu Ricard, traducteur de Sogyal Rinpoché, coauteur de plusieurs livres avec lui et figure importante du bouddhisme français, a contribué à sa promotion en inaugurant en 2008, aux côtés d’un parterre de célébrités (le Dalaï Lama, Carla Bruni, Bernard Kouchner, Alain Juppé), le centre de Lerab Ling (Hérault). Devant le scandale provoqué par la publication de la lettre, il a envoyé un texte dont Marianne a publié des extraits. Il a justifié son long silence en expliquant « qu’il n’y a pas de police des moeurs dans le bouddhisme », « c’est aux personnes qui connaissent les choses de l’intérieur de les dénoncer » et de porter plainte le cas échéant.
 

(Sources : Lettre ouverte à l’intention de Sogyal Lakar, 14.07.2017, Marianne, du 28.07.2017 au 03.08.2017) & Midi Libre, 30.07.2017)
 

1. Consiste à choquer pour « éveiller » et libérer les disciples de leurs « schémas habituels »