Les charlatans de la nutrition envahissent un marché mal encadré

Marie-Christine Noël, journaliste du Bureau d’enquête du journal de Montréal, a travaillé durant huit mois sur l’univers de la gestion de poids, une industrie lucrative très mal encadrée qui a généré 11 milliards de revenu en 2019 au Canada. Son documentaire, Détox infiltrations chez les imposteurs de la gestion de poids, a mis en évidence les importantes défaillances des praticiens oeuvrant dans le secteur de la nutrition.

En quelques mois seulement la journaliste a obtenu, à l’issu d’une formation dans une association, un certificat de nutrithérapeute lui permettant de prodiguer des conseils nutritionnels, dangereux pour la santé selon les médecins spécialistes qu’elle a interviewés. Pire, elle a découvert qu’aucune instance gouvernementale, ni ordre, n’encadrent les associations de nutrithérapeutes et de naturopathes, ainsi que leurs « écoles ». Nul besoin d’être certifié par le ministère de l’Éducation, elles n’ont qu’à remplir « une demande de désignation comme établissement d’enseignement reconnu » sur le site internet de Revenu Québec1 pour ouvrir une école de naturopathie. Revenu Québec n’a besoin que des coordonnées de l’établissement demandeur, de son numéro d’inscription au registre des entreprises et de la liste de ses formations pour prendre la décision d’accorder son agrément. « Aucune consultation auprès d’autres organismes n’est faite » selon sa porte-parole, il n’existe aucune liste publique des établissements reconnus par un organisme d’État…

Sur les réseaux sociaux, les promesses des organismes de formation en nutrition sont nombreuses : retrouver la santé, se reconvertir professionnellement, améliorer ses revenus, aider les autres à perdre du poids…

Au cours de son enquête, Marie-Christine Noël s’est plus particulièrement penchée sur les formations données par Pascale Gervais et Marie-Lise Pelletier, deux « sommités québécoises » de la nutrition.

Il ne lui a pas été difficile de trouver une formation en nutrithérapie, une recherche de quelques minutes sur Google a suffi. Pour la somme de 3 004,50 dollars, elle s’est inscrite pour une formation de trois mois, répartie sur neuf cours, au centre Nutriphilia de Pascale Gervais. Bien que son enseignement touche au champ de la santé, aucune connaissance médicale n’est requise. Cette dernière promet le succès à ses quatre élèves présentes, mais pour « réussir, il faut compter sur son expertise, mais aussi sur ses menus et sa gamme de produits naturels », qui seraient approuvés par Santé Canada. Après vérification cela se révèle faux. Pire la journaliste a découvert que les numéros de distribution des produits de Nutriphilia sont les mêmes que ceux des Centres de santé Minceur, dont Pascale Gervais était une distributrice. Or depuis 2006, la cour du Bureau de la concurrence a interdit de vanter les mérites du Cellotherm, un produit amincissant autrefois vendu dans les Centres de santé Minceur et aujourd’hui au catalogue de de Nutriphilia…

Durant les neufs cours, la formatrice assène avec aplomb une multitude de contrevérités scientifiques. Selon elle, « les gens sont malades des intestins 80 % ont des vers intestinaux. » « Il faut en parler quand ta clientèle a la peau et l’anus qui lui grattent. » Elle aborde aussi le diabète, l’irrigation du côlon, la nutrition sous l’angle de la morphopsychologie, attribuant à chaque type de silhouette un caractère déterminé qui explique les raisons du surpoids. Prudente, elle explique aux futures nutrithérapeutes qu’ils n’ont pas le droit d’utiliser les termes nutrition et diététique, sous peine de poursuite par l’Ordre des diététistes, et doivent leur préférer ceux de « rééducation alimentaire », de « stratégie alimentaire » ou de « règles d’hygiène alimentaire ». Ayant le sens des affaires, elle explique également comment fidéliser la clientèle et les gains potentiels que l’activité peut rapporter : séance à 82 dollars de l’heure, vente des produits entre 8 et 20 dollars, ouverture de cure à 100 dollars. Elle conseille à ses élèves de devenir membre de l’Association nationale des naturopathes afin de pouvoir remettre à leurs clients un reçu d’assurance.

Un deuxième reportage s’intéresse à la formation proposée en ligne par l’Académie Énergie Santé dirigée par Marie-Lise Pelletier qui promet pour 110 dollars d’obtenir un diplôme en homéopathie sans passer d’examen. Selon Paule Bernier, présidente de l’Ordre des diététistes du Québec, Marie-Lise Pelletier est « un moulin à diplômes », c’est-à-dire une personne accumulant des diplômes ineptes dans divers domaines. Munie de certifications en homéopathie, Biologie Totale, EFT, kinésiologie holistique, elle propose des formations portant sur la nutrition, les maladie chroniques, l’autisme, le TDHA, la dépression.

Au cours de ses formations sur « les remèdes des dépressions » et « l’autisme, la schizophrénie, l’hyperactivité et le TDHA », Marie- Christine Noël a relevé de nombreuses affirmations dénuées de fondements scientifiques : la pilule serait à l’origine de l’augmentation du nombre de divorces et de l’homosexualité [sic]. L’homéopathie permettrait de « nettoyer les vaccins ».

Yves Jalbert, de l’Association pour la santé publique du Québec, se désole : « Ce sont des académies ou des collèges qui ont été créés de toutes pièces. Les gens qui donnent ces cours se targuent d’avoir beaucoup de diplômes que n’importe qui peut s’acheter ». « C’est aberrant, ajoute-t-il, qu’on puisse permettre de former des gens avec ça […] Les gens de la santé publique devraient sauter là-dessus ainsi que le Collège des médecins ». Et, renchérit le docteur Michaël Bensoussan, gastro-entérologue, « quelque chose doit être fait du côté légal. Le problème c’est que ça nécessite des formations et des inspecteurs. C’est un budget colossal d’encadrer tous ces gens et toutes ces écoles ». Enfin, prévient-il, « quelqu’un qui se présente comme un professionnel de santé, qui n’a pas un diplôme reconnu par l’État et qui propose, sur internet ou sur un autre média, des promesses qu’il n’est pas capable de tenir, ça a un nom, c’est un charlatan » ! 

(Sources : Le Journal de Montréal, 7.12.2019 & 7 Jours, 19.12.2019)

1. Agence du gouvernement québécois chargée de la perception des impôts et des taxes.

 

  • Auteur : Unadfi