Inquiétudes autour du développement de la médecine prophétique musulmane

Prônant « l’autoguérison grâce à la « confiance en Allah », les centres de soins islamiques promettent de venir à bout de nombreux maux : migraines, dépression, mauvais œil, sorcellerie… Mais le développant dans l’hexagone de la médecine prophétique suscite l’inquiétude des autorités car, souvent exécutée dans la clandestinité, elle est régulièrement le théâtre de violentes dérives, parfois meurtrières. Steve Tenré, journaliste au Figaro a enquêté sur ce phénomène.

Une simple recherche sur internet suffit pour constater l’essor des centres de médecine prophétique. Mêlant islam rigoriste, exorcisme et médecine alternative, ils comptent des milliers d’abonnés sur les réseaux sociaux qui regorgent aussi de témoignages alarmants. Comme celui d’une femme se plaignant des cicatrices marquant le corps de son mari depuis sept mois, ou celui d’une autre, ressortie d’un centre traumatisée par les cris et le « discours douteux » de son gérant.

En 2019, la Miviludes, déjà saisie une quinzaine de fois à ce sujet, a mandaté Bilel Anine, chercheur au CNRS, pour enquêter sur les dérives liées à ces pratiques. Un article doit paraître prochainement.

La médecine prophétique associe en général la hijama et la roqya. La hijama est un soin physique consistant en l’application de ventouses sur des scarifications afin de chasser « le sang impur ». La roqya, quant à elle, est un soin mystique visant à exorciser les djinns, des esprits malveillants, par la récitation de versets coraniques. Des objets bénis, dits « coranisés » peuvent lui être associés. Mais n’étant pas codifiée par le culte musulman, la roqya peut rapidement basculer dans l’horreur, comme le raconte Élias Zahid, auteur de Possédé par un djinn. L’auteur croit dur comme fer avoir été possédé par un djinn, et démuni face aux symptômes dont il souffrait, lui et sa famille ont fait appel à plusieurs exorcistes dont le numéro se transmettait de famille en famille. Il a tout accepté pour s’en sortir, jusqu’à être violement battu. Il est loin d’être le seul que la détresse amène dans les griffes de raqis peu scrupuleux.

« On me proposait 300 ou 500 euros [pour des soins] c’est du délire ! » raconte Omero Marongiu-Perria, ancien imam et islamologue. Lui-même a dû chasser un imam spécialisé dans les exorcismes pour jeunes filles qui en profitait pour faire du voyeurisme. Il évoque aussi le calvaire de Louisa, une jeune femme de 19 ans morte au cours d’un exorcisme en 1994. Le drame a été évoqué dans Louisa, livre publié par la journaliste Lou Syrah en 2020. La jeune fille est décédée d’une noyade pulmonaire après avoir été battue et forcée à boire des litres d’eau salée durant cinq heures. En 2017, une femme a fini dans le coma après avoir dû ingurgiter 20 litres d’eau. En 2007 et en 2019 ce sont des accusations de viol, ayant eu lieu lors de séances de roqya, qui ont été portées contre un imam de Meurthe et Moselle et un autre de Montpellier. En mars 2021 cinq personnes ont été condamnées par le tribunal correctionnel de Rennes pour avoir brulé une adolescente de 15 ans en 2015.

Malgré ces violences, la roqya est populaire et, profitant d’une forte demande du public, les raqys se sont professionnalisés. Certains vendant des produit coranisés 50 à 100 euros et d’autres allant jusqu’à faire débourser 10 000 euros pour une seule séance.
Les raisons de cet attrait sont multiple. Pour Lou Syrah, le succès de la roqya « surfe sur celui des médecines alternatives ». Selon elle, « les déserts médicaux expliquent aussi ce phénomène, et la roqya offre des débouchés professionnels faciles. ».
L’islamologue Razika Adnani déplore, quant à lui « le signe d’un retour de la superstition, et du recul de la science et de la modernité ».

(Sources : Ouest France, 30.03.2021 & Le Figaro, 05.04.2021)

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