Villages sous emprise, une série signée Etienne Jacob, Steve Tenré et Laura Andrieu 

Cet été, Le Figaro a abordé le cas de villages sous emprise dans une série en quatre volets. Les deux premiers épisodes se sont penchés sur le Village d’Eourres (Hautes-Alpes), un haut lieu de l’ésotérisme. Le troisième épisode évoque les divisions occasionnées par l’installation des Brigandes, le groupe de Joël Labruyère, à la Salvetat sur Agout (Hérault). Le quatrième et dernier épisode aborde le cas du village de Castellane et du Mandarom (Var). Dans le présent dossier nous avons traité les deux premiers volets de son enquête.

Le village d’Eourres entre anthroposophie et New Age

À 1100 m d’altitude, les 140 habitants d’Éourres expérimentent depuis près de 40 ans un mode de vie alternatif loin du monde, où se mêlent écologie radicale, anthroposophie, spiritualité New Age et croyances mystiques menant au rejet de la science.

« C’est la petite Mecque du mouvement New Age », déclare Didier Pachoud, président du Groupe d’étude des mouvements de pensée en vue de la protection de l’individu (GEMPPI). « C’est inhabituel d’avoir une telle densité d’intervenants dans ces domaines-là», ajoute-t-il.

L’histoire de la communauté débute en 1975 quand un groupe de néoruraux new age s’installent pour fonder une communauté agricole auto-suffisante baptisée Terre Nouvelle.

Les premiers membres s’inspirent des théories de Rudolf Steiner. L’un des plus anciens se rappelle avoir reçu, au moment de son installation, la visite du maire de l’époque qui voulait s’assurer qu’il était compatible. Son métier dans un domaine ésotérique a convaincu l’édile de le laisser faire.

Aujourd’hui encore la commune reste fortement imprégnée de la pensée anthroposophique.

Il y a quelques années, l’enseignante de l’école d’Eourres, dont la pédagogie était basée sur les préceptes de Rudolf Steiner, a été rappelée à l’ordre en raison du retard d’apprentissage de certains élèves. Désormais, plusieurs pédagogies se côtoient au sein de l’établissement, composé d’une micro crèche et d’une école primaire, mais les idées de Steiner imprègnent toujours le lieu.

L’ancienne maire, Caroline Yaffé, anthroposophe et ancienne de Terre Nouvelle, a encore une forte influence sur la commune, tout comme l’enseignante épinglée par l’Education nationale. Dans le village, les saisons restent marquées par des fêtes anthroposophes tandis que de nombreux habitants cultivent leurs terres en biodynamie, concept agricole aussi inventé par Rudolf Steiner.

D’autres concepts imprègnent la commune. Dans le village, la science n’a pas bonne presse et les vaccins ne sont pas en odeur de sainteté. Même la maire, Nathalie de Bruyne, ne les voit pas d’un très bon œil. Les habitants préfèrent la médecine douce.

A Eourres on peut s’essayer au yoga tantrique, mais aussi, moyennant finances, se ressourcer dans un centre comme la ferme des Damias ou Anandamath, fondé par un Néerlandais qui propose des soins sur le fauteuil de lumière ascensionnel, un objet de sa conception censé résoudre des problèmes de santé ou nettoyer le karma.

La commune s’enorgueillie aussi d’avoir refusé il y a 20 ans l’installation d’une antenne réseau, pour se protéger des ondes. Elle attire désormais les électrosensibles.

L’une des dernières « initiatives » du village, l’école Aurore a provoqué quelques remous au sein même de la bourgade et inquiète certains habitants qui ne sont guère rassurés de voir proposer des parcours initiatiques ou des stages survivalistes aux jeunes de 15 à 18 ans censés être là pour se ressourcer. L’établissement qui n’est pas sous contrat de l’Education Nationale, s’inspire de la pensée de Pierre-Yves Albrecht, docteur en ethnologie, à la pensée mystique qui est à la l’origine de la fondation des Rives du Rhône, un centre de désintoxication dont la méthode par sevrage a été remise en question. En 2018, la fondation a été suspectée de dérive sectaire par le Département valaisan de la santé. En cause : des rituels mystiques, des confessions publiques, des mises à l’isolement.

À la Salvetat sur Agout, le groupe identitaire dissimulerait un mouvement sectaire.

Le groupe de musique les Brigandes s’est fait connaître sur internet par des clips mettant en scène six à sept femmes masquées qui chantent des chansons aux relents racistes et antisémites. Mais derrière ses apparences politiquement incorrectes, le groupe dissimulerait une secte dirigée par Joël Labruyère, bien connu de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

Plusieurs anciens membres ont porté plainte pour abus de faiblesse, violences et travail dissimulé. Selon Laure, l’une des cinq plaignants, le groupe est bien plus ancien que son installation dans l’Hérault. Elle-même a rejoint Joël Labruyère en 2000. A l’époque, l’homme dénonce les persécutions contre les minorités spirituelles et fonde l’Omnium des Libertés, une association qui a défendu plusieurs sectes. Son rejet du système et ses propos transgressifs attirent à lui une vingtaine de personnes unies autour de croyances syncrétiques et aspirant à créer une nouvelle civilisation dans un monde menacé par la destruction.

Pendant 20 ans, le clan prend diverses dénominations,         « La Base », le « Royaume elfique », la « Nation libre », la « Communauté de la Rose et de l’épée », et déménage au gré des plaintes dans l’Orne, en Espagne, en Italie, dans les Pyrénées. En 2021 les Brigandes annoncent leur dissolution et prennent le nom Vanadis.

Pour l’heure encore installée à la Salvetat, la communauté vie en autarcie dans une vaste propriété. Si au début, le groupe s’est bien intègré au village et y a scolarisé ses enfants, la découverte de ses chansons sur YouTube a divisé le bourg entre ceux qui blâment ses positions identitaires et ceux qui trouvent qu’il ne dérange personne. La situation s’est envenimée et après que l’une des Brigandes a brulé un manuel scolaire, considéré comme un outil de propagande, elles ont déscolarisé leurs enfants.

Le groupe fonctionne selon un système pyramidal dont le sommet est occupé par Labruyère, explique l’avocat Rodolphe Bosselut. Les journées des adeptes sont dévolues à diverses tâches attribuées en fonction de leur place hiérarchique. Certains font le ménage, pendant que d’autres écrivent pour les revues du groupe. Quelques-uns s’entraîneraient aux arts martiaux et au combat à la « canne française ». Deux fois par jours les adeptes se réunissent autour d’un repas végétarien au cours duquel ils écoutent les monologues de Labruyère expliquant être la réincarnation de divers personnages historiques. Seul maître à bord, Labruyère recompose les couples et sépare les enfants de leurs parents.

Ceux qui sont contre lui sont harcelés et violentés. Ce fut le cas de Laure, devenue bouc émissaire du gourou pour avoir osé le remettre en question. « Elle aurait même été invitée à se suicider, avant sa fuite du clan ». Quant à ceux qui quittent la communauté, certains ont été victimes de menaces de mort.

Le groupe est aussi sous le coup d’une enquête en Belgique, après la plainte d’une adepte morte d’un cancer non soigné en 2011. Obligée de se soumettre aux croyances gnostiques du clan, « qui estime que l’âme divine, propre à chaque être humain, est prisonnière de la matière et que l’esprit doit ainsi se libérer du corps », elle suit les conseils de Labruyère et entame un jeûne censé la soigner. Quarante jours plus tard, à bout de force, elle aurait demandé à être étouffée. L’enquête interrompue par le Covid devrait reprendre prochainement. 

(Sources : Le Figaro, 08.07.2022, 14.07.2022)

  • Auteur : Unadfi