Une organisation qui tisse sa toile de manière insidieuse

Le mouvement religieux sud-coréen Shincheonji, répandu en France depuis 2016, est accusé de dérives sectaires et suscite l’inquiétude des autorités. Interrogés par Le Monde, d’anciens adeptes confirment des mécanismes d’emprise sectaire.

Fondée en 1984 par Lee Man-hee, messie autoproclamé aujourd’hui âgé de 93 ans, Shincheonji revendique 400 000 fidèles dans le monde, ce chiffre restant invérifiable. En France, l’organisation qui diffuse une doctrine évangéliste centrée sur l’Apocalypse, compterait au moins 1 100 membres.
Des témoignages révèlent des méthodes d’approche insidieuses. Selon d’anciens adeptes, les recruteurs cibleraient les jeunes dans des lieux publics, comme les métros parisiens. Mis en confiance, ils se verraient proposer des formations bibliques gratuites. Mais ces dites formations « a priori séduisantes tournent à l’obsession » confie une jeune femme qui a ainsi été abordée. « C’était un flot d’enseignements et de doctrines sur la paix et la fin du monde à apprendre par cœur ». Elle parle « d’une machine à laver les cerveaux et à vous ponctionner de l’argent » et soutient qu’il s’agit « d’un apprentissage qui vous coupe peu à peu de votre entourage pour vous assujettir d’avantages ».
Progressivement, les recrues obtiennent des diplômes et peuvent accéder à la plateforme Telegram alimentée chaque jour par les prêches d’un chef religieux. « C’est seulement à ce moment-là que l’organisation dévoile son vrai nom : Shincheonji », ajoute-t-elle. Il lui aura donc fallu trois ans pour comprendre qu’elle avait été recrutée par un culte d’origine sud-coréenne. Un culte dont le fondateur se prétend immortel et affirme que seuls des élus seront sauvés par « sa vérité ». Un culte que d’anciens adeptes, en Corée (où Lee Man-hee a été condamné pour avoir détourné 3,9 M€ et où il est accusé d’avoir contribué à la propagation du Covid-19), en Allemagne (où le mouvement s’est implanté en 2000), en Australie (où l’organisation a commencé à faire parler d’elle en 2009) et en France, accusent de dérives sectaires.


Dix-neuf signalements à la Miviludes en 2024
En France, la Miviludes a recensé dix-neuf signalements contre Shincheonji en 2024. Son implantation inquiète sérieusement les autorités et les spécialistes des dérives sectaires. « Depuis quelques mois, des parents commencent à nous contacter car leurs enfants ont rejoint le mouvement », alerte Marie Drilhon, vice-présidente de l’Unadfi. La difficulté, c’est que Shincheonji opère discrètement. Situé à Goussainville (Val-d’Oise), en bordure d’une zone commerciale, son siège ne présente aucun symbole religieux en façade. Pour conquérir de nouveaux fidèles, l’organisation religieuse se servirait, en France, d’une autre structure, Heavenly Culture, World Peace, Restoration of Light (HWPL), enregistrée au Journal officiel en tant qu’association loi du 1er juillet 1901, et dont le but affiché serait de « réaliser la paix mondiale et la cessation des guerres ». Shincheonji assure qu’elle n’a aucun lien avec HWPL. Pourtant, sur leurs sites Internet respectifs, les deux structures renvoient à un seul et même président : Lee Man-hee. Ce double jeu est longtemps passé sous les radars des autorités. Pour preuve : sur le site gouvernemental JeVeuxAider.gouv, qui liste diverses associations où faire du bénévolat, HWPL a été accessible en quelques clics. Contacté, le site affirme avoir « suspendu les missions avec cet organisme le temps d’effectuer des vérifications complémentaires ».


(Source : Le Monde, 14.12.2024)


A lire aussi sur le site de l’Unadfi : Le recrutement dans les campus inquiète les universités : https://www.unadfi.org/actualites/groupes-et-mouvances/le-recrutement-dans-les-campus-inquiete-les-universites/

  • Auteur : Unadfi