Tensions et contradictions chez les bouddhistes

Devenue la quatrième religion de France avec un million de pratiquants et cinq millions de sympathisants, le bouddhisme bénéficie chez les occidentaux de l’image d’une religion de la bienveillance, de la tolérance, de la non-violence. Mais derrière cette image d’Epinal se cache une toute autre réalité. Ainsi la purge ethnique menée par les bouddhistes birmans à l’encontre de la minorité musulmane, les Rohingyas, a révélé le caractère violent que cette religion peut revêtir. Plus proche de nous, le limogeage de Sogyal Rinpoché par Riga, suite à la publication par huit adeptes d’une lettre dénonçant ses abus, a déclenché une libération de la parole au sein du bouddhisme français.

D’autres faits moins médiatisés attestent ces contradictions. Ainsi des moines qui fréquentent le centre KRTL (Hérault) dénoncent le putsch dont a été victime le lama Sonam le 15 mai 2017. Dirigeant le temple depuis 28 ans, il a été débarqué par Kalo Rinpoché, un jeune lama de 27 ans qui serait la réincarnation officielle d’un des pionniers du bouddhisme européen. Selon les fidèles de Sonam, Kalo et huit hommes l’accompagnant auraient fait pression sur leur lama pour qu’il abandonne son poste et donne les droits d’accès à tous les comptes de la congrégation. Suite à cette éviction, motivée par l’appât du gain selon ses adeptes, Sonam aurait porté plainte, mais sans succès. Du côté de Kalo Rinpoché, le son de cloche est différent. Selon ses fidèles, c’est la mauvaise gestion du centre de Montpellier qui l’a contraint à prendre des mesures disciplinaires. Il a fallu peu de temps à Lama Sonam en arrivant en Europe pour abandonner ses voeux de chasteté et accueillir dans sa chambre des jeunes disciples tentés par une nuit avec un authentique maître tibétain.

Kalo Rinpoché, le maître réincarné débarrassé de ses démons, de la drogue et de l’alcool, a décidé de lancer un pavé dans la mare en 2011 en dénonçant, dans une vidéo les viols qu’il a subi à l’âge de 12 ans pendant sa formation de moine bouddhiste. Par la suite, en visite au temple des 1 000 Bouddha situé à la Boulaye (Saône-et-Loire), il a destitué toute l’équipe dirigeante après avoir appris que deux lamas bhoutanais faisaient l’objet de plaintes pour viol.

Tous ces bouleversements vont-ils occasionner une prise de conscience sur la vision erronée que les européens se font du bouddhisme ? Pour Marion Dapsance, auteure de Les Dévots du bouddhisme, l’aveuglement des occidentaux tiendrait d’un côté « d’une tendance occidentale à abdiquer toute forme de rationalité face aux religieux bouddhistes » allant même jusqu’à considérer comme acquise l’idée qu’ils seraient les personnes les plus évoluées de l’humanité et qu’à ce titre ils seraient doués de pouvoirs bénéfiques pour tous. C’est grâce à cette crédulité que Sogyal Rinpoché a pu prétendre, devant 500 personnes et sans soulever de contestation dans l’assistance, avoir guéri des cancers par le seul son de sa voix.

De l’autre côté, à l’opposé de cette conception surnaturelle on trouve une tradition bouddhiste qui se prétend rationnelle pour séduire des occidentaux échaudés par le dogmatisme religieux. Porte étendard de cette tendance, Matthieu Ricard, moine et docteur en génétique cellulaire qui n’hésite pas à se mettre en scène affublé d’électrodes pour démonter la validité scientifique de la méditation et en prouver les bienfaits.

Pour Marion Dapsance, ces deux tendances « nées au XIXe siècle se retrouvent aujourd’hui associées ». « Les gens viennent pour le côté rationnel et, très vite, ils se retrouvent à adorer un maître, ajoute-t-elle. C’est bien cette perte d’esprit critique et la foi absolue dû au maître qui ont donné l’opportunité à Sogyal Rinpoché d’abuser de son pouvoir pour asservir et maltraiter ses disciples ».

(Source : Marianne, 24 au 30.11.2017)