Commandé par l’exécutif, un rapport sur « l’usage des écrans par les enfants » a été remis à Emmanuel Macron le 30 avril. Le choix de certains contributeurs interroge.
Le rapport remis au Président de la République se veut basé sur la science. Il souligne les risques sanitaires et sociétaux de l’exposition aux écrans et alerte sur l’hyper connexion subie par les enfants. Pour étayer leurs argumentaire et recommandations, les experts de la commission ont interrogé différents représentants scolaires. Rien d’anormal, le sujet touchant en partie les élèves et les écoles. Sauf que, parmi eux, figurent les écoles Waldorf, proches de l’anthroposophie, établissements controversés faisant l’objet de nombreux signalements de dérives sectaires. Dans son dernier rapport, la Miviludes s’inquiète d’ailleurs de la mise en œuvre d’une potentielle « emprise mentale » sur les enfants qui y sont scolarisés. Pourquoi une telle source pour un rapport qui se veut basé sur la science ? Interrogé par L’Express sur ce choix, le Pr Amine Benyamina, président de la commission, explique qu’il n’avait pas connaissance de la réputation de ces acteurs avant que naisse la polémique et comprend que cela puisse poser un problème. « Nous n’avions que trois mois. Il y a forcément eu quelques loupés, mais je trouve que la polémique est dommageable par rapport au travail qui a été fait ». Psychiatre en exercice, il réfute en revanche une quelconque « influence » des écoles Waldorf ou de l’anthroposophie dans les recommandations remises au chef de l’État. Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation à Paris Cité et chercheur au CNRS, reconnaît, lui aussi, une erreur due aux délais tout en réaffirmant l’indépendance des travaux. « Les citer, c’est leur reconnaître une qualité d’expertise et leur donner une visibilité » regrette Grégoire Perra, ancien anthroposophe devenu lanceur d’alerte, qui rappelle que « pour eux, l’informatique est l’œuvre d’un démon ».
Affirmations alarmistes et contraires à la littérature scientifique
D’autres éléments surprennent. Des experts réputés, comme Anne Cordier (enseignante-chercheuse spécialiste des pratiques numériques), ont été oubliés. Le collectif « surexposition-écrans » a, lui, été auditionné, bien que décrié pour ses affirmations alarmistes et contraires à la littérature scientifique sur les liens entre écrans et autisme. Là encore, Amine Benyamina justifie l’audition de la Dr Ducanda, active dans ce collectif « car c’est une figure publique mise en avant par les médias qui participe aux discussions sur le sujet. Mais à aucun moment nous n’endossons ses positions ou ses thèses dans le rapport ».
L’Express a vérifié : dans le rapport, pas de trace d’éléments anthroposophiques, et il est effectivement écrit que « les écrans ne sont pas à l’origine des troubles du neurodéveloppement ou trouble du spectre de l’autisme ». Mais les auteurs apportent toutefois une nuance étonnante : « Il convient de signaler qu’une exposition excessive aux écrans peut aggraver des symptômes liés à ces troubles chez les enfants qui en souffrent ». Une idée que réfute la Pre Catherine Barthélémy, pédopsychiatre, grande spécialiste française des troubles neurodéveloppementaux et actuelle présidente de l’Académie de médecine : « je n’ai pas lu d’étude scientifique récente et validée par la communauté internationale apportant la preuve que l’utilisation excessive des écrans pourrait aggraver les troubles du spectre autistique ». Cette prise de position dans un rapport officiel inquiète cette experte. Parce que dans certains cas, indique une autre ancienne experte auprès des pouvoirs publics sur les troubles du spectre autistique, « les écrans sont aussi à même d’être bénéfiques pour ces enfants. Ces outils technologiques peuvent aider les autistes non verbaux à se faire comprendre. Il ne faudrait pas les en priver dans un grand mouvement de balancier anti-écrans ».
(Source : L’Express, 02.05.2024)