La Cour d’assises d’Ivry a prononcé des peines allant de 3 à 6 ans de prison ferme à l’encontre de quatre personnes ayant séquestré et torturé une jeune femme dans le cadre d’un exorcisme.
Les quatre individus comparaissaient pour « arrestation, enlèvement et séquestration avec actes de torture ou de barbarie ».
Antoinette, 19 ans, d’origine camerounaise, avait été retrouvée dans un appartement de la Grande- Borne à Grigny (Essonne). Les policiers avaient découvert la jeune femme gisant sur un matelas à-même le sol. Elle était restée six jours durant, ligotée, les bras en croix dans la position du Christ. Privée de nourriture, ses bourreaux lui administraient un mélange d’huile et d’eau. Très affaiblie, amaigrie et en état de choc, elle présentait des marques de coups et de scarifications.
La jeune femme et les quatre accusés, se réclamant de l’Église adventiste du Septième jour, avaient formé depuis plusieurs mois un groupe « vivant en autarcie » dans un appartement devenu « une véritable salle de prières ». Un soir de mai 2011, croyant percevoir les symptômes d’une manifestation diabolique chez Antoinette, Eric D., son compagnon à l’époque des faits, prend l’initiative d’un exorcisme. Sa mère, Lise-Michelle B., et deux autres personnes, Philippe G. et Lionel F., ont déclaré avoir voulu la« libérer du diable ». Tous les quatre ont assuré que la jeune fille avait accepté de se faire exorciser. Ils nient toute forme de violence, prétendant que les blessures sur le corps de la victime proviennent du pouvoir du démon. Pour justifier la privation de nourriture, Eric D., explique qu’il ne fallait pas donner « plus de forces au démon ». Des proches le décrivent comme « un illuminé se prenant pour un prophète investi d’une mission divine ». Les experts ayant examiné sa personnalité ainsi que celle de ses complices, ont soutenu qu’ils étaient convaincus que la victime était « bel et bien envoûtée par la sorcellerie vaudou de sa propre mère ».
Antoinette, « décrite comme quelqu’un de crédule qui avait une grande peur de Dieu », les avaient rencontrés au sein de l’Église adventiste. Elle fréquentait assidûment la congrégation depuis qu’elle s’était coupée de sa famille. Elle raconte qu’elle était sous l’emprise de son compagnon. Pour elle, « Eric était Dieu ». Elle fut très rapidement séduite : « Il disait que j’étais investie d’une grande mission, que Dieu avait besoin de moi. C’est un discours qui m’a complètement figée. Il avait un certain charisme. Quand il parlait de Dieu, j’étais captivée. »
Pour la pousser à rompre avec sa famille, Eric D. réussit à convaincre Antoinette que sa mère pratiquait la sorcellerie et qu’elle ne devait plus la voir. C’est d’ailleurs cette pratique vaudou qui serait à l’origine de l’envoutement.
Tous les cinq furent exclus de leur église pour problèmes disciplinaires. C’est ainsi qu’ils décident de s’installer chez la mère d’Eric où ils vécurent en quasi-autarcie.
Lors de l’audience, la mère d’Antoinette confirme que c’était comme si sa fille avait « subi un lavage de cerveau ». Elle avait affiché dans l’immeuble de Grigny « Non aux sectes, non aux gourous. Eric D. et sa mère, 2ème porte à droite ». Toujours selon sa mère, la jeune femme souffrait depuis plusieurs années de troubles psychiatriques, des « délires mystiques » qui expliqueraient également sa soumission.
Un policier qui avait entendu les parties dans le cadre d’une enquête sur de possibles dérives sectaires, a affirmé que rien ne laissait présager de tels faits.
« Tout au long du procès, les accusés ont déclaré avoir agi pour le bien de la victime et ont affirmé leur conviction inébranlable qu’elle était bel et bien possédée par Satan ».
La Cour d’assises de l’Essonne n’a pas suivi l’avocate générale qui avait requis des peines allant de huit à douze ans de prison. La Cour a retenu la séquestration mais pas le chef d’accusation d’actes de torture ou de barbarie.
La peine la plus lourde a été prononcée à l’encontre d’Eric D., compagnon de la jeune femme, considéré comme le meneur des opérations. Sa mère Lise-Michelle B. et Philippe G., le seul à avoir exprimé des remords pendant l’audience, ont écopé de 5 ans de prison, dont un avec sursis. La Cour a été plus clémente avec le quatrième accusé, Lionel F., jugé plus influençable et l’a condamné à trois ans ferme.
Antoinette est déçue par le verdict : « J’aurais aimé que ce que l’avocate générale avait demandé soit exécuté, parce que je pense que ce sont des individus dangereux, surtout Eric D. ». L’avocat de sa famille regrette quant à lui que la torture n’ait pas été retenue.
Sources : Libération, 07.10.2013 & Europe1, 09.10.2013 & France-Antilles, 08 et 11.10.2013
L’exorcisme ressurgirait-il en France ?
Le procès des quatre exorcistes de l’Essonne a conduit la journaliste Cécile Bouanchaud à s’interroger sur ces pratiques.
Alors que beaucoup le croyait disparu, l’exorcisme semble refaire surface. La période de crise que nous traversons expliquerait en partie cette recrudescence. Ce rituel se serait libéralisé avec le mouvement charismatique, évangélique ou catholique.
Concernant l’affaire de l’exorcisme d’Antoinette, Jean-Paul Barquon, secrétaire général de l’Union des fédérations adventistes de France a tenu à préciser que « la pratique de l’exorcisme n’existe pas » dans son église et que « rien ne justifie qu’on fasse subir des sévices corporels ». Il reconnaît toutefois que ce genre de dérives peut exister. « Il existe des minorités qui, dans toutes les Eglises, voient des démons partout. »