Plongée au coeur de la secte d’Harun Yahya

Adnan Oktar, également connu sous le pseudonyme d’Harun Yahya, prêche depuis 1980 un Islam basé sur sa propre interprétation du Coran. Il est l’un des nombreux leaders spirituels sévissant en Turquie. Il se vante d’avoir 300 proches disciples et des millions d’adeptes dans le monde. Prônant le dialogue inter religieux, il a su s’attirer les faveurs de politiciens et de rabbins en Israël. Intrigué par ces liens, un journaliste de Haaretz s’est rendu en Turquie pour enquêter sur le groupe.

Historique et doctrine

Selon la seule thèse de doctorat consacrée à Adnan Oktar , « The Mahdi Wears Armani ». Oktar serait né à Ankara dans une famille modeste. C’est au cours de ses études d’art à Istanbul en 1979 qu’il commença à prononcer des discours contre la théorie de l’évolution de Darwin et contre la franc-maçonnerie. Un petit groupe d’étudiants s’est rassemblé autour de lui formant la base de sa « communauté religieuse ».

Complotiste, créationniste, au départ antisémite, Harun Yahya a changé son fusil d’épaule après le 11 septembre 2001 pour promouvoir un islam tolérant.

Son organisation souvent critiquée, a été décrite comme une secte sexuelle qui interdit la conception d’enfants. Il est particulièrement connu pour ses disciples féminines maquillées à outrance et vêtues de vêtements de marque souvent très courts et moulants, qu’il nomme ses « chatons ». Selon lui « Les femmes sont des manifestations étonnantes de Dieu, des oeuvres d’art incroyables, créées par Dieu et des êtres glorieux qui devraient être respectés, admirés, aimés, chéris et protégés toute leur vie comme des bénédictions. »

Depuis 2011 Oktar possède sa propre chaîne de télévision, TV A9, sur laquelle, se mettant en scène comme les télévangélistes américains, il diffuse ses prêches quotidiens de trois heures auxquels assiste un public de jeunes gens au physique avantageux et au cours desquels ses « chatons » dansent pour attirer une plus forte audience.

Sous prétexte du dialogue inter religieux et surtout parce qu’il les invite tous frais payés, il attire dans son talk-show des politiciens des républiques balkaniques, des politiciens et des rabbins d’Israël, dont le ministre des Communications Ayoub Kara (Likoud), des rabbins de toutes les branches de l’orthodoxie et un bon nombre d’anciens députés, malgré les avertissements du ministère israélien des Affaires étrangères.

Le recrutement

Malgré des accusations récurrentes de lavage de cerveau, de chantage, d’exploitation sexuelle et financière, Oktar continue d’attirer à lui de nouveaux adeptes. Les efforts de recrutement se concentrent sur la jeunesse aisée turque. Mais pas uniquement, car Oktar recherche aussi des personnes capables de travailler pour lui sans contre partie.

Deux anciens disciples, Sedat et Fulya, racontent le processus de recrutement bien rodé mis en place par le gourou. Sedat, son ancien bras droit, séduisait des jeunes femmes pour les amener à Oktar. Pour les impressionner, il fournissait à ses rabatteurs une voiture de luxe et un appartement pour faire croire à leurs proies qu’elles avaient affaire à des hommes riches.

Fulya, quant à elle, raconte qu’une fois ferrées, les jeunes femmes sont incitées par leur nouveau petit ami, qui se présente comme une personne moderne, à pratiquer des activités particulières, dont le sexe en groupe. Enregistrées en vidéos avec leur consentement, les femmes ont des rapports sexuels avec des dizaines d’hommes différents jusqu’à détruire « leur autodéfense mentale » afin qu’elles ne soient plus en mesure de s’opposer à Oktar lorsqu’elles lui seront présentées. Cette manœuvre est également destinée à maintenir les jeunes femmes sous son joug par le chantage.

Sedat éprouvait rarement des remords car il pensait sauver les jeunes femmes du mal et croyait qu’il serait conduit au paradis par son gourou pendant que tout le reste du monde irait en enfer.

Fulya a été piégée d’une autre façon. Repérée à l’université par l’un des jeunes « séducteurs » d’Oktar, elle a refusé ses avances. Mais, convaincue d’assister à une réunion du gourou, elle a été séduite par son accueil chaleureux et son écoute et est revenue chaque jour dans le groupe pour écouter les prêches de celui qu’elle voyait comme un père de substitution. Quatre mois après sa rencontre avec le groupe, elle emménagera avec d’autres adeptes et y passera près de dix ans.

Fulya explique que le processus d’entrée dans le culte est progressif. Lentement, le fossé entre l’adepte et ses proches (amis et famille) se creuse ; le groupe exerce des pressions sur ses membres pour qu’ils condamnent publiquement leur famille.

Selon Sedat, il y a une chose qu’Oktar « fait très bien : identifier les gens qu’il peut utiliser et savoir comment les utiliser ». Il profite des faiblesses et des crises identitaires des jeunes, mais aussi de leur inculture religieuse. « Nous voulions seulement vous dire ce qui se passe à l’intérieur, explique Sedat au journaliste d’Haaretz, parce que malheureusement votre gouvernement et les gens de votre gouvernement l’aident financièrement et autrement. Et comme il continue à recevoir cette aide, il continue d’atteindre de nouveaux jeunes et de détruire de nouvelles familles. ».

L’organisation

Fulya explique que les femmes sont classées en trois catégories. Les femmes comme elles, appelées « soeurs » contribuent à ses recherches, à ses articles et à son site web. Selon Fulya, ces femmes ne sont pas particulièrement attirantes mais ont beaucoup de compétences. Le second groupe comprend de très belles jeunes femmes qui sont utilisées pour la promotion du groupe. Elles, et de beaux jeunes hommes, constituent le public du programme TV d’Oktar, mais ne doivent en aucun cas parler aux invités. Le dernier groupe est constitué de femmes censées apporter de l’argent au groupe en travaillant. Elles font la promotion du groupe sur les médias sociaux, en distribuant des livres ou des flyers pour annoncer des conférences.

Même si Oktar se défend de tout enrichissement personnel, ses adeptes lui transfèrent « la majeure partie de leurs revenus pour qu’il puisse financer son projet missionnaire et continuer à maintenir son train de vie luxueux ». Nombre de ses adeptes travaillent bénévolement dans les diverses structures du groupe, en plus de leur emploi pour vivre.

La réponse d’Oktar à ses critiques

Poursuivant son enquête, le journaliste d’Haaretz a obtenu une interview d’Oktar à la seule condition qu’elle soit en direct sur sa chaîne de télévision.

En réponse aux questions du journaliste sur le lavage de cerveau, la surveillance constante, la séquestration de certains ex adeptes, Oktar répond que ses détracteurs répandent des mensonges car ils seraient mécontents de ne rien avoir obtenu du groupe, en particulier de l’argent. Pire, ils recevraient de l’argent d’espions britanniques membres de ce qu’il appelle le « British Deep State », un organisme secret qui dirigerait le monde et dont l’un des objectifs actuels serait de faire taire Oktar. Dans sa théorie conspirationniste, déjà révélée dans deux livres et des vidéos diffusées sur Youtube, il explique que ce sont les anglais qui ont amené Hitler au pouvoir au nom de Satan et invite ses fidèles à prier pour faire cesser le complot.

Ses démêles avec la justice

Ses premiers ennuis avec la justice ont eu lieu au milieu des années 80 : les autorités turques, défendant la « laïcité » d’une main de fer, l’ont accusé de diffuser de la « propagande religieuse » et l’on condamné à 19 mois de prison, dont une partie avec sursis. 

En 1999, les autorités de l’État ont lancé une enquête à grande échelle sur Oktar et ses partisans. Des centaines de policiers ont perquisitionné les 38 propriétés appartenant à son organisation et l’ont arrêté ainsi que des membres du culte ». Un acte d’accusation citait les détails du chantage sexuel. Oktar a passé neuf mois en prison en attendant son procès, mais la plupart des témoins ont ensuite retiré leurs plaintes et l’accusation a abandonné ses poursuites.

En 2008, l’accusation a rouvert l’affaire contre Oktar, et « reconnu coupable d’avoir créé une organisation illégale à des fins personnelles », il a été condamné à trois ans de prison. Il a fait appel et toutes les accusations furent abandonnées en 2010.

Si durant les années 2000 Oktar a profité de la bienveillance du gouvernement Erdogan, ce n’est plus le cas actuellement et ses jours en tant que chef de secte sont peut-être comptés. En effet la pression sur lui semble grandissante. « Le régulateur des médias en Turquie a imposé un certain nombre d’amendes à Oktar et a annulé sa licence de diffusion par satellite, supprimant Channel A9 ». Pour le réduire au silence, les autorités turques réfléchissent à une législation qui exigerait que les diffuseurs web aient une licence de l’Etat.

De plus, le père de deux jeunes femmes membres du groupe a déposé plainte auprès de la police et obtenu une injonction contre lui.

(Sources : Haaretz, 29.03.2018 & Daily Beast, 07.08.2016)

1- Anne Ross Solberg une chercheuse du département de littérature, d’histoire des idées et de religion de l’Université suédoise de Göteborg.