Médecine douce écoulée « en douce » ?

Une enquête du journaliste Olivier Hertel a révélé que Weleda, entreprise pharmaceutique proche de l’Anthroposophie, écoulerait en France des stocks d’ampoules injectables à base de gui, sans renouvellement des autorisations depuis fin 2018. Il semblerait aussi que les patients français puissent se procurer le médicament « dans des pharmacies en ligne européennes. »

Jusqu’à décembre 2018, Weleda bénéficiait d’une autorisation délivrée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) pour importer des ampoules de « Viscum album fermenté », autrement nommé Iscador, un produit qui aurait des vertus anti-cancéreuses. En attente d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), Weleda bénéficiait d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) lui permettant de vendre son produit uniquement sur ordonnance de médecin. Or, Oliver Hertel est parvenu à acheter des ampoules de « Viscum album fermenté » dans une pharmacie parisienne sans prescription médicale et bien au-delà de la fi n de son ATU. Pour 50 €, il a obtenu 6 ampoules sans aucune notice explicative ou mise en garde.

Si Weleda vend les ampoules, c’est le laboratoire Iscador AG, lui aussi proche de l’Anthroposophie, qui les fabrique. Suite à un différend commercial entre eux, aucun n’a effectué de demande d’ATU pour 2019. Iscador AG ayant augmenté de 20 euros le prix de vente de ses ampoules, Weleda n’était pas en mesure de répercuter cette hausse sur le marché français. Coup dur pour Iscador AG, cette « spécialité » représentant une importante part de marché, mais elle a contourné le problème en orientant, depuis son site, les patients français vers des pharmacies européennes accessibles en ligne. Pourtant il a été possible à une pharmacie parisienne de se procurer ces ampoules, du jour au lendemain, en « passant commande sur le site professionnel de Weleda ».   “Nous écoulons les stocks que nous avions quand le produit était encore autorisé en France. » assure en effet une source interne à Weleda.

Pourtant, l’Association de Patients de la Médecine Anthroposophique (APMA) et le Dr Robert Kempenich, président du Conseil national professionnel des médecins « à expertise particulière », section Médecine Anthroposophique (CNP MEP SMA)1, donnent des conseils pour se procurer des ampoules depuis leur interdiction. Le site internet de l’APMA fournit une liste de pharmacies allemandes et suisses susceptibles de les vendre, tandis que le Dr Robert Kempenich a donné, dans une lettre de décembre 2018, cosignée par le Dr Joseph Hébrard Dubreuil2, des consignes aux médecins susceptibles de prescrire du « Viscum album fermenté » hors AMM pour contourner l’interdiction en restant dans la légalité. Pourtant l’Ordre national des médecins précise bien qu’un « médecin français prescrivant un produit proscrit en France se mettrait en infraction ».

Cette préparation qui n’a pas démontré d’effet probant contre le cancer n’est pas sans danger. Si Weleda explique que ce traitement n’est que complémentaire, le Dr Kempenich est plus ambigu. Dans son livre « le Viscum album et cancer », il écrit que l’Iscador « présente une forte potentialité curative ». Selon lui, « Le Viscum album n’est donc pas un traitement de support, c’est bien un traitement qui vient en plus de son action spécifique, compléter et améliorer la cytotoxicité des drogues actuellement prescrites ».

C’est ce qu’a cru Stéphanie, une patiente atteinte d’une tumeur cancéreuse au sein. Selon sa fille, croyant à un traitement conventionnel et reconnu, elle a consulté un médecin en 2010 qui lui a prescrit 28 ampoules d’Iscador à injecter directement dans sa tumeur. Le résultat a été une forte dégradation de son état qui l’a conduite à la mort en 2013. Cependant, elle avait déposé une plainte en 2012 qui a abouti en 2016 à la condamnation du médecin à deux ans d’interdiction d’exercer la médecine. La sanction du médecin a pris fi n en 2018 et il anime désormais des séminaires de médecine alternative. En 2008, le Dr Joseph Hébrard Dubreuil [cité plus haut], avait été suspendu trois ans pour des faits similaires. Dans sa décision le Conseil national de l’ordre expliquait « que le fait de prescrire les injections d’extrait de gui en péri-tumoral, est un acte dangereux pouvant entraîner une dissémination des cellules tumorales ; qu’il résulte d’informations fournies par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé que ni l’efficacité ni la sécurité d’un tel traitement ne sont démontrées. »

Constat corroboré par une étude publiée dans le « Journal of Cancer Research and Clinical Oncology » en mars 2019, qui après avoir passé au crible 3647 articles scientifiques portant sur les éventuelles vertus curatives du gui, a conclu que le produit n’a aucune efficacité.

Weleda a demandé la publication d’un droit de réponse dans Sciences et Avenir, indiquant entre autres que « Weleda dispose bien de toutes les autorisations requises », sans en préciser toutefois les dates et les durées. Le journal a publié ce droit de réponse et y a répondu. Le laboratoire Weleda, considérant comme inexactes les allégations formulées par Sciences et Avenir, tant dans la réponse que dans l’article, « entend exercer toutes les voies de droit nécessaires afin de rétablir son honneur et sa réputation. »

(Source : Sciences et Avenir, 14.05.2019)

1. Il est également Président de la SSMA (Société Savante de Médecine Anthroposophique) et président de l’AREMA, Association pour la Recherche et l’Enseignement en Médecine Anthroposophique.

2. Médecin anthroposophe, membre du conseil d’administration du (CNP MEP SMA)