Depuis 2017, année où les premiers messages du mystérieux Q sont postés sur le forum 4chan, les adeptes de QAnon soutiennent l’existence d’une cabale mondiale composée de « pédo-satanistes » se nourrissant du sang d’enfants issus de réseaux de trafic d’enfants. Le motif du sang des enfants, qui traverse de nombreuses théories diffusées par QAnon, possède des racines antisémites.
La thèse d’une élite se nourrissant de sang d’enfants par pure déviance et cruauté se modifie légèrement à partir de 2018. L’accent est dès lors davantage mis sur l’adrénochrome, un dérivé de l’adrénaline, auquel les adeptes de QAnon attribuent des propriétés imaginaires : les membres de l’élite pédo-sataniste l’utiliseraient comme élixir de vie. Relativement à cela, QAnon affirme qu’il existe sous Central Park des camps souterrains dans lesquels sont parqués les enfants, gardés dans la terreur afin que leur sang soit toujours riche en adrénaline.
Ces fantasmes complotistes puisent en vérité dans un antisémitisme profond, très présent sur le forum 4chan : « les fantasmes de QAnon sur l’adrénochrome sont une version du XXIe siècle d’un très vieux récit, le soi-disant Libel de sang1, un récit antisémite qui a fait rage en Europe du XIIe au XXe siècle », explique Wu Ming2, membre du collectif d’écrivains Wu Ming.
Ce récit antisémite naît en 1144, à la suite de la découverte dans les bois du corps du jeune Guillaume de Norwich, portant d’étranges blessures. A l’époque, un moine bénédictin accuse publiquement les juifs d’avoir commis un crime rituel pour boire le sang de l’enfant. En 1475, les juifs sont accusés de la mort du petit Simon de Trente. Avec un nouvel élément : le sang de cet enfant chrétien, mais aussi celui d’autres, servirait d’ingrédient à la matsa, un pain que les juifs mangent pendant la Pâque.
Par la suite et jusqu’au XXè siècle, près de 200 accusations de crimes rituels vont parcourir toute l’Europe. Il existe également une rumeur persistante au Moyen-Age concernant les hommes juifs, qui ne seraient pas totalement des hommes et auraient, comme les femmes, des menstruations. Le seul moyen pour les juifs de garder leur vitalité serait justement de boire du sang chrétien. « Mille ans plus tard, cette idée se retrouve chez QAnon » explique l’historien et spécialiste de l’image antisémite, Joël Kotek.
(Source : 20minutes.fr, 25.07.2023)
1. En anglais « blood libel », c’est-à-dire un crime rituel impliquant du sang.
2. Ce collectif travaille sur le rôle sociohistorique de la narration. Wu Ming 1 a publié en octobre 2022 Q comme qomplot, comment les fantasmes de complot défendent le système, aux éditions Lux.