Le confinement tu ne respecteras point

Dans le hors-série Spécial Covid des Actualités du mois de mars1, l’Unadfi s’était penchée sur le danger que peuvent représenter certains groupes religieux radicaux pour la santé publique par leur farouche opposition aux politiques de distanciation sociale et au confinement. Plusieurs raisons expliquent ce refus :

La validation des croyances : apocalypse et punition divine

Certains cultes religieux y voient l’occasion de valider leurs croyances, à l’image des Témoins de Jéhovah qui affirment que « Jésus avait prévu l’épidémie » et ajoutent, « les événements que nous vivons montrent plus que jamais que nous vivons la fin des derniers jours et même sans aucun doute la fin de la fin des derniers jours ». Si l’apostolat est officiellement suspendu, la Miviludes signale deux cas où l’évangélisation se serait poursuivie dans de petits villages.

Le Rabbin Rav Ron Chaya, il certifie que « l’épidémie est une «volonté divine» dans un monde miné par la débauche sexuelle et le vol ».

Le pasteur burkinabé, Mamadou Karambiri, atteint par le virus, voit dans sa guérison un miracle qui corrobore que la Covid-19 était « un plan satanique » pour « détruire le monde ».

Cette vision est partagée par de nombreux prédicateurs évangéliques parmi lesquels Mike Bickle (Kansas City) et Lance Walnau (Baton Rouge) qui accusent Satan d’être derrière la maladie et certifiant qu’elle ne toucherait qu’une fraction de la population.

Au Maroc, le salafiste Omar Haddouchi, a affirmé sur sa chaîne Youtube que « ce qui est arrivé est causé par un péché et ne peut être éliminé que par le repentir. C’est un message de Dieu à ces gens parce qu’ils ne croient pas en Dieu. »

En Inde, Swami Chakrapani, président du parti nationaliste All India Hindu Mahasabha, a expliqué « que la Covid n’est pas un virus, mais un avatar pour punir les non-végétariens. »

Pour ceux qui voient dans la pandémie une punition divine, seuls ceux qui respecteront les prescriptions religieuses à la lettre seront sauvés.

Une impossible remise en question : tradition et isolement

Communs à toutes les confessions, les rassemblements de masse ont fait des communautés religieuses de puissants relais de transmission du virus. Sur la chaîne YouTube Del­hi Markaj, un orateur a déclaré qu’il n’était pas nécessaire de suivre l’éloi­gnement social car il s’agit d’une « conspiration pour éloigner les mu­sulmans les uns des autres »

En Israël, au début du mois d’avril, 50% des malades hospitalisés étaient des juifs ultra-orthodoxes (haredim), alors qu’ils ne repré­sentent que 10% de la population.

De nombreuses yeshivas (écoles talmudiques) sont restées ouvertes, en particulier à Bnei Brak, près de Tel-Aviv. Chaim Kanievsky, maran (maître) de l’une d’elle, dont l’influence dépasse celle des grands rabbins du pays, « a décrété que suspendre l’étude de la Torah, ne serait-ce qu’un jour, était plus risqué pour le peuple juif que tous les dangers du coronavirus… ». Aux États-Unis, c’est dans une communauté similaire qu’ont été détectés les premiers cas de Covid près de New York. L’indifférence des groupes juifs ultra-orthodoxes au sort collectif s’explique selon Samuel Heilman, de l’Université Queens à New York, par leur insularité culturelle : ils vivent en vase clos sans moyens de communication, dans la peur des non-juifs « capables de vous envoyer dans des chambres à gaz du jour au lendemain » explique une jeune ex-adepte partie d’un groupe hassidique canadien d’Outremont.

La loi de Dieu avant la loi du pays

Pour l’universitaire et théologien iranien Mohsen Alviri « certains donnent la priorité aux rituels religieux, qu’ils placent au-dessus de tout, même de la science médicale quand d’autres pensent qu’on peut abandonner les prières obligatoires pour sauver la vie d’un être humain ».

Ce qui explique que beaucoup, quelle que soit leur confession, aient tout fait pour maintenir leur culte.

En Inde, par exemple, 3 000 personnes de confession Tabligh Jamaat, organisation fondamentaliste musulmane, ayant assisté mi-mars à un office à New Delhi ont répandu le virus dans tout le pays. Après l’interdiction de tout rassemblement par les autorités, les responsables du groupe ont poursuivi leurs activités en soutenant qu’Allah les protégeait.

En France, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X a célébré une messe clandestine dans l’église de Saint Nicolas du Chardonnet pendant la nuit de Pâques. Des policiers appelés par des riverains n’ont pu entrer dans le lieu de culte fermé à clef. Les participants s’étant éclipsés à l’issue de la cérémonie, seul le prêtre de la paroisse traditionaliste a été verbalisé pour non-respect du confinement. Une vidéo de la célébration retransmise sur Youtube montre qu’il n’y avait pas de fidèles, mais une trentaine d’officiants parmi lesquels figuraient des enfants de chœur. Aucun d’entre eux n’avait de masques et ne respectait les gestes barrières, l’eucharistie a même été donnée directement de la main à la bouche à une dizaine de participants. La paroisse a en outre précisé sur sa chaîne Youtube que « la retransmission vidéo de la messe dominicale ne remplace ni ne dispense de l’obligation d’assister physiquement à la messe pour ceux qui le peuvent ».

Culte protecteur et combat spirituel

Jusqu’à ce qu’il soit lui-même atteint de la Covid-19, l’ayatollah Mohammad Saïdi, chef du mausolée de Fatima Massoumeh à Qom, revendiquait le maintien de l’ouverture de son sanctuaire, « maison de guérison », et y invitait ses fidèles « pour guérir de leurs maladies de l’âme et du corps ».

En Inde, le Premier Ministre Narendra Modi a invité la population à pratiquer un rituel inspiré du Diwali (fête de la lumière) afin de défier le virus et montrer la force du peuple indien.

Pour les pasteurs néo pentecôtistes, dans le combat spirituel entre le Bien et le Mal, la Covid-19 est une manifestation du mal mais ils n’ont pas à s’inquiéter car Dieu les protège même s’ils meurent. Plusieurs d’entre eux, ont affirmé avoir le pouvoir de guérir le coronavirus par la prière et des remèdes miracles. Frank Amedia, leader du Touch Heaven Ministries a même affirmé : « Nous avons des rapports selon lesquels des chrétiens sont guéris de ce virus par la puissance de Dieu ». Au moment de l’annonce, les États-Unis comptaient 8 000 morts, à ce jour (07.05.2020) plus de 70 000 sont à déplorer.

Mais ainsi que l’explique la porte-parole de l’Unadfi « Cela peut être problématique quand la promesse de guérison risque d’éloigner une personne malade d’un traitement ».

Chercheur sur la droite chrétienne et professeur associé de théologie à l’Université de Concordia, André Gagné explique que le concept de guérison est enraciné dans leur théologie : « Beaucoup de ces prédicateurs croient que les chrétiens ne devraient pas être contrôlés par un « esprit de peur ». » Et il ajoute qu’ils « sont convaincus que Dieu est aux commandes ; que cela fait partie de son plan global avant un grand réveil spirituel de la fin des temps. »

Les desseins politiques

Certains profitent de la pandémie pour lancer des accusations contre leurs « ennemis ». En Iran, Press TV, a prétendu plusieurs fois qu’Israël aurait « développé des éléments mortels du coronavirus contre l’Iran. »

Aux Etats-Unis, en Floride, le pasteur pentecôtiste et théoricien du complot Rodney Howard-Browne a maintenu des services religieux en plein confinement, insistant pour que ses fidèles s’embrassent et se serrent la main. Complotiste adhérant aux thèses de Q Anon et invité sur Infowars et à la Maison Blanche, il prétend que les mesures de santé publique font partie d’un complot impliquant la Fondation Rockefeller et l’Organisation mondiale de la santé, dont les objectifs étaient les vaccinations forcées et les meurtres de masse. Il ajoute qu’il s’agit d’une manigance pour causer la chute de Donald Trump.

Pour le prophète auto-proclamé Lance Walnau le virus « est moins dangereux qu’une grippe saisonnière » et les mesures de santé publique comme l’importante couverture médiatique n’étaient qu’une stratégie de la gauche pour mettre l’économie en difficulté afin de pouvoir revenir au pouvoir.

Le pasteur Ronnie Hampton de l’Église communautaire New Vision à Shreveport en Louisiane a suggéré que la Covid était une excuse du gouvernement un prétexte pour créer un État policier et implanter des micropuces dans la population. Depuis ces affirmations, il est mort de Covid-19 après avoir minimisé la dangerosité du virus en racontant à ses disciples qu’il n’était qu’un test de Dieu.

En France, le pasteur Yvan Castanou*, de l’église évangélique Impact Centre Chrétien basée à Boissy- Saint-Léger, explique dans un prêche transmis sur internet le 8 mars qu’« Il y a une épidémie de virus et il y a une épidémie de peur qui est beaucoup plus terrible et redoutable que la première». » Pour lui, « Ce qui va précéder la venue [de l’Antéchrist], c’est la peur et la terreur. Il prépare son plan pour contrôler la Terre par le gouvernement mondial ! »

*Le pasteur Yvan Castanou est un ex-entrepreneur dans le e-business. Il est issu d’une influente famille du Congo- Brazzaville et est le neveu d’Antoinette Sassou Nguesso, première dame du pays tenu d’une main de fer par la famille depuis plus de vingt ans.

Les contraintes économiques

L’interdiction de rassemblements religieux est un coup dur financier, en particulier pour les prédicateurs évangéliques : « Les pasteurs sont d’abord des chefs d’entreprise, animés par une logique entrepreneuriale » explique Flavio Sofiati, spécialiste du monde chrétien à l’université de Goias au Brésil. Kenneth Copeland et sa femme Gloria dont la fortune est estimée à 70 millions de dollars et qui professent la « théologie de la prospérité » ont appelé leurs disciples à payer leur dîme, même si leurs ressources financières ont été atteintes par le ralentissement de l’économie.

Paul White Coin, un autre télévangéliste a appelé ses disciples à verser 95 dollars à son église « car le psaume 95 explique le pouvoir thaumaturge de Jésus. »

L’évêque Climate Wiseman, dirigeant de la Kingdom Church à Camberwel (près de Londres) a été accusé de vouloir abuser de l’anxiété des gens en proposant pour 91 livres un « kit de protection contre la peste » qui devait agir comme une « une barrière invisible aux pouvoirs des ténèbres ». Au moment où les faits ont été dénoncés, il avait déjà vendu plus 1000 kits.

  1. Lire sur le site de l’Unadfi : https://www.unadfi.org/aide-aux-victimes/demander-de-laide/actualites-communiques/hors-serie-actualites-de-lunadfi-special-covid-19/

(Sources : Breaking News, 26.03.2020, Le Figaro, 27.03.2020, Rawstory, 27.03.2020, France Info, 30.03.2020, The Telegraph, 01.04.2020, Le Monde, 02.04.2020, The Guardian, 04.04.2020, ICI.Radio-Canada, 04.04.2020, Marianne 09.04.2020, The Conversation, 10.04.2020, Le parisien, 12.04.2020, The Wire, 15.04.2020)

 

 

 

  • Auteur : Unadfi