La Communauté Saint-Martin sommée de se réformer par le Vatican

Le Vatican a nommé deux « assistants apostoliques » pour « accompagner » la Communauté Saint-Martin, association de droit pontifical, principale pourvoyeuse de prêtres en France, dans un travail de réformes. D’anciens membres évoquent des dérives autoritaires et des agressions sexuelles de la part de l’abbé Jean-François Guérin, son fondateur.

Que s’est-il passé dans les murs de la « Maison de formation », le séminaire de la puissante communauté Saint-Martin (CSM), du temps de son fondateur, l’abbé français Jean-François Guérin, décédé en 2005 à l’âge de 75 ans ? Les détails sont secrètement conservés dans un rapport de 1 300 pages archivé à Rome, dans les bureaux du dicastère pour le clergé. Cet organe de la curie, chargé de contrôler la formation des prêtres catholiques partout dans le monde, a placé le 4 juillet la CSM sous la supervision de deux « assistants apostoliques », après une enquête menée entre juillet 2022 et janvier 2023 par Benoît Bertrand, évêque de Mende, à la demande du Saint-Siège et de la hiérarchie de la communauté. Les résultats de cette « visite pastorale périodique », selon le vocabulaire romain, n’ont pas été rendus publics. Mais, à la lecture de la lettre mise en ligne sur le site de Saint-Martin, on mesure la gravité des enjeux.

En plus « d’accompagner » la communauté dans un « travail de réforme » jugé « nécessaire », « il s’agira de faire œuvre de vérité sur la période de fondation, la personnalité du fondateur et les faits qui lui sont reprochés par plusieurs anciens membres », écrivent ainsi Matthieu Dupont, évêque de Laval, et François-Marie Humann, abbé de Mondaye (Calvados), les deux assistants apostoliques désignés par Rome. Avant d’ajouter : « Des personnes écoutées ont parlé d’un climat abusif dans l’exercice de l’autorité et l’accompagnement spirituel. Certaines personnes, majeures à l’époque des faits, évoquent aussi des gestes pouvant relever de délits à caractère sexuel ».

Abus de pouvoir, baiser forcé…

Après la publication de la lettre des assistants apostoliques, début juillet, un prêtre, qui officie désormais en Suisse, a d’abord brièvement témoigné sur le réseau social X, avant d’accepter de raconter son histoire au Monde. Il se souvient du rythme effréné, d’un état de stress tel qu’il avait développé un herpès énorme et d’un culte de la personnalité : « Il fallait toujours être aux petits soins, lui faire des surprises, rentrer dans une forme de révérence ». Mais, ajoute-t-il,  « à l’époque, il ne fallait pas parler des abus dans l’Eglise. En fait, il ne fallait jamais dire que ça n’allait pas. Tout était noyé dans un discours sur l’amour, la charité et la miséricorde… Et on fait tout pour être à la fois dans ses bonnes grâces et qu’il nous laisse tranquille ». Aujourd’hui, il assure « ne pas souhaiter la disparition de la CSM », qui propose « une bonne formation intellectuelle et culturelle » de laquelle sont sortis « de très bons prêtres ». Mais il espère que le travail engagé aboutira à « atténuer le côté huis clos et à assainir leur rapport à l’obéissance ».

Trois ans pour « faire œuvre de clarté »

Présente aujourd’hui dans 32 diocèses français ainsi qu’à Cuba, en Allemagne et à Rome, la Communauté Saint-Martin a vu le jour en 1976 au couvent Saint-François de Voltri, en Italie, avant que la maison mère et le séminaire déménagent en France, en 1993, à Candé-sur-Beuvron, dans le Loir-et-Cher, puis à Evron, en Mayenne, en 2014. Les prêtres, qui se font appeler « don » plutôt que « père », en référence à l’origine italienne de la communauté, identifiables à leur soutane noire, se distinguent par un aspect communautaire très marqué, s’installant à plusieurs (trois au minimum) dans les paroisses dans lesquelles ils sont envoyés. Sans être considérée comme intégriste, car elle accepte les conclusions du concile Vatican II, la Communauté Saint-Martin se caractérise par un fort conservatisme sur le plan doctrinal et un « semi-traditionalisme » concernant la liturgie, alternant messe en latin et en français. « Le nombre de leurs séminaristes et leur jeunesse nourrissent, chez certains d’entre eux, l’idée qu’ils sont l’avenir de l’Église en France. Ils estiment être à la bonne place pour relever les défis du catholicisme », décrypte le sociologue Josselin Tricou, qui a mené une enquête auprès d’eux pour son ouvrage Des soutanes et des hommes. Enquête sur la masculinité des prêtres catholiques (Ed. PUF, 2021).

Contacté par Le Monde, Paul Préaux, le « modérateur général » (dirigeant) de la communauté Saint-Martin, dit ne pas avoir reçu le rapport complet. Mais la démarche du Vatican « nous paraît importante, elle évite que nous soyons dans l’auto-évaluation et nous permet de trouver des voies de progression », assure-t-il. S’il met en garde contre la tentation « d’évaluer notre communauté simplement à l’aune de faits datant de la fondation, sans examiner le contexte de l’époque et sans prendre en compte tout ce qui a évolué depuis dans nos pratiques », il se dit prêt à « travailler pour améliorer tout ce qui peut l’être ». Entré à Saint-Martin en 1982, il assure, à propos des accusations d’agressions sexuelles, « qu’il ne connaissait ni les faits reprochés, ni les personnes concernées » avant l’enquête du Vatican et se dit prêt à remplir son « devoir de mener à bien le travail de clarification ».

Les assistants apostoliques nommés par Rome ont trois ans pour faire « œuvre de clarté ». 

(Source : Le Monde, 07.08.2024)

  • Auteur : Unadfi