Enquête sur l’univers des marabouts

Selon un sondage Ifop de 2020, envoûtements et sorcellerie séduiraient trois personnes sur dix. Soigneurs de l’âme ou escrocs ? L’AFP a enquêté sur l’univers des marabouts en France.

Séquestré et victime d’une tentative d’extorsion en mars 2022, le célèbre footballeur Paul Pogba raconte avoir été accusé d’avoir payé un marabout pour jeter des sorts sur son coéquipier et star mondiale Kylian Mbappé. Devant la justice française, le joueur s’est défendu en expliquant « que les dons conséquents faits à son conseiller spécial étaient destinés à de bonnes actions en Afrique ». Reste que cette affaire a placé certaines pratiques sous les feux des projecteurs. Aumônier de grands sportifs, Joël Thibault a confié à l’AFP que « face aux pressions et enjeux colossaux, dans le football notamment, il n’est pas rare que certains aient recours à des marabouts et à des choses paranormales ».

Les journalistes de l’AFP ont enquêté sur les marabouts et en ont rencontré huit. « Originaires en majorité d’Afrique de l’Ouest où il est courant de les consulter, ceux qui se considèrent comme des soigneurs de l’âme ont su adapter leur travail en France aux demandes d’une société déboussolée face aux crises, aux impasses sociales et bouleversements des valeurs » décryptent-ils. Une analyse que partage Liliane Kuczynski dans son livre « Les marabouts africains à Paris » : « On va les voir comme d’autres ont recours à des psys, des magnétiseurs ou des voyants. Hommes ou femmes de tous âges, diplômés, chômeurs… La clientèle des marabouts en Île de France traverse l’ensemble des couches sociales ».

Peu de plaintes

Pourquoi ? « Parce que les marabouts ont des dons particuliers en intelligence émotionnelle. Ils savent comprendre les désordres de leurs clients et aident à dénouer des situations » explique à l’AFP Marie Miran-Guyon, anthropologue à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. « Effet placebo ou pas, à partir du moment où les gens y croient, ça a un effet performatif ».

Oui, mais… « Il y en a qui peuvent être des psychothérapeutes de fait… Et il y a des escrocs » met en garde Jean-Pierre Olivier de Sardan, anthropologue au CNRS. « D’un côté, des marabouts pouvant être crédités d’une culture religieuse et d’un désir d’aider et, de l’autre côté, des personnes qui n’y connaissent pas grand-chose et qui essaient d’extorquer le plus possible des victimes ». Sachant que, selon l’AFP, le prix d’une séance varie d’une dizaine d’euros à plusieurs centaines en cas de sacrifice, jusqu’à des dizaines de milliers.

Dans son cabinet, la psychothérapeute Assa Djelou dit recevoir régulièrement d’ex-clients de marabouts « maintenus dans quelque chose de dangereux parce qu’ils ne veulent pas faire face à la réalité attribuant leurs échecs à des sorts qui leur auraient été jetés ». Et elle rappelle que « la police ne recense ni les voyants ni les marabouts. Elle ne s’intéresse à eux qu’en cas de plaintes pour escroquerie ou exercice illégal de la médecine…. Mais celles-ci sont rares, le recours aux marabouts restant un sujet privé et tabou ». La Miviludes confirme, pour sa part, n’avoir traité en 2021 qu’une seule saisine sur le maraboutisme. 

(Source : AFP, 14.11.2023)

  • Auteur : Unadfi