Dans un monde chaotique et stressé, la vogue du New Age ne s’est jamais aussi bien portée. Est-il en train de supplanter les églises traditionnelles ou s’agit-il d’un phénomène éphémère ?
Selon une étude publiée sous le nom de Religion et spiritualité à l’ère de l’ego, un tiers des Suisses vivraient sous l’influence de « spiritualités alternatives » qui s’affichent aujourd’hui sans tabou. Dans tous les milieux, on peut entendre des notions telles que « Dieu est énergie », « matière et esprit ne font qu’un », « la méditation guérit ».
Dans les années 2000, on identifiait ce courant sous la dénomination New Age. Les adeptes d’aujourd’hui préfèrent les termes de « quête spirituelle » ou de « nouveau paradigme ». Ingrid Meyer dirigeant la Librairie du bien-être à Fribourg, se satisfait de cette vulgarisation : « Avant, on nous regardait un peu de travers, on parlait de sectes. Aujourd’hui, c’est devenu tout à fait normal ».
Cette mouvance surfe sur les maux du siècle où perte de sens, burn-out ou allergies peuvent trouver leur solution dans les ondes positives, le véganisme ou la quête de soi. Elle se veut sans dieu unique ni hiérarchie.
Elle mélange allègrement méditation orientale, chamanisme et physique quantique. Des auteurs en vogue dans ce milieu comme Gregg Braden ou Nassim Haramein, affichent d’imposants cursus scientifiques pour diffuser leurs théories sur le « code divin » ou « l’univers connecté ».
Le consommateur de nouvelles spiritualités peut avoir tâté différentes drogues, avoir recours à des thérapies néo-new age. Il est critique envers le rationalisme dominant et fréquente des conférences sur le thème « Science et spiritualité ». Il peut soutenir que des « êtres astraux venus de Vega influencent sa vie ».
L’adepte type est une femme ayant atteint la quarantaine, ayant un haut niveau de formation, vivant dans une ville moyenne, avec une proportion non négligeable de divorcés (19%).
L’une de ces adeptes, en quête de sens à donner à sa vie, s’est rendue chez une chamane pratiquant la « récupération d’âme ». Elle a également fait une « régénération de mémoire ancestrale », de la « biodécodification » et des retraites au rythme de tambours chamaniques. En quelques mois, elle a absorbé toutes les croyances néo-new age.
De ces femmes, Samiel en a fait son fonds de commerce. Devenue conseillère et guide pour des professionnelles en plein doute existentiel, elle veut donner du sens à leurs vies parce qu’elle-même a été en proie au doute. Après avoir quitté son mari et son emploi, elle se met au yoga puis décide d’ouvrir un cabinet de coaching. En 2010, lors d’une conférence sur les prophéties mayas, elle est frappée par l’annonce du « changement de paradigme » et par le pouvoir du « féminin sacré ».
Cette notion de « féminin sacré » ainsi que celle du « changement d’ère » ou du « changement de paradigme » sont les leitmotive de ce courant. Adepte convaincue, Nicole Schwab, biologiste moléculaire de formation estime que « la force de ce mouvement, ce qui fait que cette quête spirituelle est encore plus grande aujourd’hui, c’est qu’on ressent une sorte d’urgence (…) Le monde est en déséquilibre. On a donné trop d’importance à une façon masculine de voir les choses. Au détriment d’une autre partie de l’être humain : l’intuition, l’empathie, la capacité de ressentir et d’être connecté à l’environnement ». En effet, cette mouvance a aussi un côté terroir et nature.
Joëlle Chautems est connue pour ses ouvrages sur les « hauts lieux vibratoires », les « lieux enchantés » qui se sont écoulés à plus de 10000 exemplaires. Dans sa boutique, des cristaux censés protéger des mauvaises ondes et des personnages tirés de jeux vidéo tels que le Seigneur des Anneaux ou Game of Thrones reflètent son inspiration écologique et païenne. Son commerce et son activité d’écrivain ont profité de la banalisation du mouvement new age. Elle admet que dans les grandes librairies, l’espace consacré à ce genre de littérature a triplé ces dernières années.
La mouvance possède également ses lieux de vacances et perce dans des secteurs inattendus comme chez ces vignerons séduits par le biodynamisme ou chez les sportifs de haut niveau.
Les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique restent le principal vecteur de la pénétration du new age. La Suisse compte pas moins de 17000 thérapeutes agréés, agrément leur permettant de voir leurs prestations remboursées par les assurances maladie complémentaires. L’offre de soins est devenue pléthorique voire déroutante par sa diversité : respiration alchimique, méthode de libération des cuirasses, lecture de « recueils akashiques », chromothérapie, détoxification, sans oublier le reiki qui fait fureur en ce moment. Certains n’hésitent pas à se faire rembourser une séance de chamanisme en l’estampillant « réflexologie ». Le Centre d’information sur les croyances (CIC) de Genève rappelle qu’il s’agit avant tout d’activités lucratives. Brigitte Knobel estime que la formation à ces « thérapies » est très rapide et permet d’acquérir un statut d’indépendant avec un faible contrôle de l’État.
Selon Irene Becci, professeure à l’Université de Lausanne, « il y a un regain de légitimité de cette mouvance ». Les religions traditionnelles se mettent même à utiliser son vocabulaire, « on ne parle plus de lecture de psaumes, mais de méditation sur les psaumes ». Si d’aucuns affirment que la religiosité new age est en train de supplanter les églises traditionnelles, d’autres sont plus sceptiques : à mesure qu’elle devient plus visible, elle risquerait de se heurter aux sarcasmes et aux critiques du matérialisme dominant.
(Source : L’Hebdo.ch, 24.12.2015)