Des formations agricoles financées par les Régions et Bruxelles. Rien d’anormal. Sauf quand ces formations vantent la biodynamie et d’autres pratiques ésotériques jamais démontrées scientifiquement.
Quentin ne comprend pas les critiques à l’encontre de la biodynamie. En 2022, l’éleveur laitier a été diplômé d’un brevet professionnel de responsable d’entreprise agricole (BPREA) orientation biologique et biodynamie à Segré, dans le Maine-et-Loire. Durant sa formation, de deux ans, il a découvert « l’influence des forces cosmiques et de la Lune sur le développement des plantes »… Des concepts sortis de l’imagination de Rudolf Steiner, le père de l’anthroposophie, mouvement fondé au début du XXe siècle et dont les dangers ont maintes fois été signalés par la Miviludes.
Au cours de son brevet, le jeune homme a aussi rencontré des agriculteurs travaillant avec des « êtres élémentaires » (gnomes, ondines, sylphes et salamandres) invisibles à l’œil nu, dont l’existence a été soutenue par Steiner en 1907.
A la tête du Centre de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA) de Segré, Lionel Aubert assure n’avoir jamais entendu parler de ces pratiques ésotériques. « Je ne sais même pas qui est Steiner », soutient-il. « J’ose espérer que les services du ministère de l’Agriculture nous auraient alertés s’il y avait une démarche douteuse ».
Le cursus, qui accueille 18 élèves chaque année, bénéficie de fonds publics (entre 10 000 et 13 000 € par étudiant), auxquels s’ajoute une rémunération mensuelle des stagiaires à hauteur de 600 €, versés par la Région Pays de la Loire, le Fonds social européen et Pôle emploi. Interrogée à ce sujet, la Région n’a pas souhaité répondre. Du côté du ministère de l’Agriculture, l’embarras est palpable : « La biodynamie est effectivement controversée, mais de nombreux domaines viticoles et agricoles en France y adhèrent […]. En raison du principe de laïcité, il ne nous appartient pas de priver tout un chacun de la liberté de croire ou de ne pas croire », souligne-t-il en précisant que « consigne a été donnée aux directeurs d’établissements et aux services déconcentrés de veiller à ce que ces cours conservent leur principe de neutralité sans promotion de croyances ».
La formation de Segré n’est pas un cas isolé. Un cursus similaire existe depuis 1991 au CFPPA d’Obernai, en Alsace. Difficile de ne pas voir de lien avec l’anthroposophie lorsque l’on se penche sur la liste des intervenants au sein de ces deux formations. Parmi eux : René Becker, l’ancien secrétaire général de la Société anthroposophique en France, ou encore Jean-Michel Florin, codirecteur de la section agriculture du Goetheanum, le siège de la Société anthroposophique universelle.
« La biodynamie est un chemin vers la doctrine anthroposophique », décrypte Valéry Rasplus, sociologue. « Introduire de tels cours dans un établissement agricole public, avec comme intervenants des anthroposophes qui n’annoncent pas forcément la couleur, c’est prendre le risque de voir s’installer un prosélytisme larvé, dont le but est de capter de nouveaux adeptes ».
(Source : L’Express, 27.06.2024)