Convaincue de ne pas se soigner, une adepte meurt dans les bois

Le 18 octobre 2011, Suari*, adepte depuis 2008 de La Nation Libre, une communauté dirigée par Joël Labruyère, est morte dans un cabanon situé près de la ville d’Hastière en Belgique. Atteinte d’un cancer de l’utérus, avancé mais opérable, elle a décidé, par conviction, de ne pas se soigner. Aidée seulement d’antidouleurs, elle est morte à l’âge de 39 ans de dénutrition au terme d’un jeûne de 40 jours encouragé par sa communauté.

Informée par les soeurs de Suari, une journaliste a décidé d’enquêter sur les circonstances de ce décès.

Suari considérait, à l’instar des autres membres du groupe, que la maladie était un tribut à payer pour les erreurs passées. Pensant que son karma était de mourir, elle fut encouragée par les autres « à s’en aller avec dignité et sans détour » et elle est devenue « un modèle de courage et de vertu ». Dans le groupe de Joël Labruyère , les soins médicaux étaient fortement déconseillés ; découragées d’avoir recours à la médecine, les femmes ont accouché pendant des années dans le petit cabanon. En 2013, l’une d’elle a dû être transportée d’urgence à l’hôpital suite à des complications lors de son accouchement dans la forêt.

Les derniers jours de Suari

Au cours de l’été 2011, Suari annonce sa maladie à sa famille et son intention de renoncer à tous soins. Sachant qu’elle va mourir, elle épouse le 2 octobre un membre du groupe, qui deviendra son représentant légal après son décès.

Le 22 octobre, le groupe prévient sa famille de son décès et invite ses proches à une fête d’adieu dans la cabane où elle est morte. Durant la cérémonie, les adeptes lisent un texte troublant dans lequel elle demande que ses deux enfants ne soient jamais emmenés chez un psychologue, considéré comme « un sorcier de l’esprit », et ne reçoivent ni transplantation d’organe, ni transfusion sanguine « afin de maintenir un état de pureté physique qui garantit une conscience libre ».

Sous le choc, la famille ne réalise pas qu’en réalité elle était morte quatre jours avant qu’ils en soient informés. Pire, sa mère avait même reçu un SMS le 20 octobre lui disant qu’elle allait bien et son frère, venu la voir le 21, était prévenu qu’elle était en promenade. Selon son mari, le décès de la jeune femme n’a été annoncé que tardivement car son corps devait rester trois jours sans être touché pour laisser  les énergies se libérer, ajoutant qu’elle ne voulait pas que des catholiques approchent sa dépouille. Sa famille n’est pas catholique [sic]

Annick Lovinfosse, ex adepte et ancienne compagne de Joël Labruyère, livre, quant à elle, un témoignage accablant. Voyant Labruyère entretenir une relation des plus ambiguës avec Suari, elle quitte la secte en 2010. Mais en 2011 Labruyère évince Suari suite à la découverte de sa maladie, et rappelle Annick qui, totalement sous son emprise, emménage dans les Pyrénées avec le groupe. Annick Lovinfosse raconte comment Labruyère a organisé la fin de vie de la jeune femme qu’il aurait envoyée en Belgique et convaincue d’entamer un jeûne de 40 jours. Il aurait donné l’autorisation aux quatre adeptes partis en Belgique pour l’assister d’abréger ses souffrances, ce qu’elles auraient fait en l’étouffant. Pour se couvrir, dans un courrier du 30 septembre 2011, il recommande à Suari de bien suivre les traitements des médecins.

Son mari ne s’est pas déplacé jusqu’en Belgique pour la soutenir. Il n’a déclaré sa mort qu’un jour après, le constat de décès ayant été signé à distance car aucun médecin n’est venu sur place.

Une adepte zélée et loyale

Sa famille décrit Suari comme une personne déterminée et entière, mais aussi fragile, pleine de principes et en recherche permanente.

Ayant rencontré Labruyère lors d’une conférence en Belgique, elle a intégré le groupe avec ses deux enfants. Selon ses soeurs, le changement a été immédiat : elle a commencé à tenir des propos complotistes sur le 11 septembre ou sur les juifs, Désormais coiffés de longues tresses en l’honneur de la déesse Freyja, n’appelant leur mère que par son prénom, ses enfants auraient vécus séparés de leur mère, selon des principes spartiates imposés par Labruyère. Elle était devenue fanatique et entièrement dévouée au groupe. Labruyère l’appelait « son aide de camp ».

Ayant eu vent de cette enquête sur le décès de Suari, des membres du groupe ont menacé la journaliste.

* Nom donné dans la secte

(Source : Nolwen Le Blevennec, Le Nouvel Obs, 08.03.2018)