Depuis plusieurs années la pratique de l’exorcisme connaît un fort regain d’intérêt en France. S’il est très populaire dans la sphère chrétienne, la culture musulmane n’est pas épargnée avec un fort développement de commerces proposant des exorcismes islamiques (Roqya) et des soins en médecine prophétique (Hijama) inspirés de la Sunna1 .
Très en vogue dans le milieu rigoriste musulman, ces pratiques de soins non conventionnelles inquiètent la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI) et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Cette dernière a commandé un rapport sur le sujet au chercheur et spécialiste de la radicalisation, Bilel Ainine2 . Dans son édition du 1er juin, Le Parisien a livré des extraits de ce rapport intitulé Nouvelles dérives sous couvert de pratiques rigoristes en islam.
La roqya et la hijama sont utilisées comme procédés curatifs pour traiter des maux dont la cause inexpliquée est attribuée à la présence d’esprits (les djinns) ou de mauvais sorts. La méthode consiste en des saignées pratiquées au scalpel puis en l’application de ventouses sur les plaies, dans le but d’extraire les mauvais esprits. Ce sont souvent des personnes en détresse, souvent psychologique, qui y ont recours.
Certains raqis (exorciseurs) exercent leur « art discrètement », via le bouche à oreille pour ne pas éveiller les soupçons. Mais depuis quelques années, l’attrait pour les médecines alternatives et un certain repli communautaire ont permis un développement de ces pratiques. Désormais, de luxueux cabinets de « médecine prophétique » ont pignon sur rue et font leur publicité sur internet, souvent sous couvert de médecines non conventionnelles, comme la naturopathie, ou sous des appellations telles que ventousothérapie ou cupping thérapie. Le succès de ces pseudo thérapies est tel qu’elles sont devenues un business très rentable. En SeineSaint-Denis, des cabinets attirent de nombreux clients et des personnes désireuses d’obtenir un « certificat de praticien» en médecine prophétique. Des formations sont également organisées dans des hôtels. Regroupant 10 à 40 personnes, les cours sont facturés entre 500 et 1000 euros « payables en Carte Bleue ou Paypal ».
L’aspect mercantile ne fait aucun doute selon Bilel Ainine et s’apparente parfois à du racket lorsque des escrocs, sous couvert de pratiques ancestrales, profitent de personnes vulnérables.
Le rapport note aussi les nombreux forums et les chaînes YouTube où des intervenants tiennent des propos dangereux. Certains fustigeant « les psychiatres occidentaux qui ne croient même pas en Allah, les traitant même « d’assassin de la conscience ». Les médecins généralistes qui craignent une offensive dans les déserts médicaux sont inquiets, car le risque est réel de voir des personnes fragiles, voire psychotiques, avoir recours à l’exorcisme plutôt qu’à des soins médicaux. Une infirmière d’origine marocaine, rencontrée dans un centre de planning familial le confirme : des femmes lui ont confié que des centres « leur demandent souvent d’arrêter leurs traitements médicaux et leurs consultations chez les vrais spécialistes ».
« A la croisée de la « sorcellerie et du charlatanisme » pour la Miviludes et « de la radicalisation et du séparatisme » pour la DGSI », ces méthodes inquiètent également l’Ordre des médecins qui pointe l’exercice illégal de la médecine. Bilel Ainine renchérit : « ce sont des offres thérapeutiques en rupture avec les rituels traditionnels de l’Islam », qui « recèlent des pratiques déviantes qui relèvent du pénal ». Anne Josso, secrétaire générale de la Miviludes « appelle à la vigilance » sur « des pratiques qui tendent à se banaliser en raison d’un regain d’intérêt pour des rituels magico-religieux et d’une forte demande du public ». Mais les victimes sont très peu nombreuses à se manifester car elles « font parfois l’objet de pressions », explique-t-elle. L’une d’elle, Nadia, a eu le courage de dénoncer une praticienne venue à son domicile afin que d’autres ne subissent pas le même sort qu’elle : saignées, brûlures et ingestion de médicaments fabriqués par la praticienne.
La Miviludes déplore que les autorités religieuses musulmanes ferment les yeux sur ce phénomène et ces dérives. En France, tout comme à l’étranger, la pratique n’est pas encadrée et peut avoir des conséquences dramatiques : patients escroqués, extorqués, femmes violées, pédophilie, décès.
Fin mai, le décès d’une petite fille de 10 ans en Algérie à la suite d’une séance de désenvoûtement a provoqué un grand émoi dans la population. Une correspondante de la radio algérienne a condamné un acte « abominable commis par un charlatan ». L’enfant dont le corps portait des traces de coups et de brûlures est décédée à son arrivée à l’hôpital. Le raki en cause dans le décès a été arrêté.
L’anarchie est telle que les autorités de certains pays du Maghreb ont procédé « à la fermeture de cliniques roqya (non autorisées), et décrété l’interdiction formelle de pratiquer des roqya à l’intérieur des mosquées.
En Allemagne, quatre personnes, dont le mari d’une jeune femme de 22 ans décédée, viennent d’être inculpés pour leur implication dans sa mort. Il avait fait appel à un « guérisseur islamique » pour guérir l’infertilité de sa femme. La victime avait été forcée d’ingurgiter pendant huit jour consécutifs de grandes quantités d’eau salée pour « expulser les démons » à l’origine de sa stérilité. Elle est morte dans un hôpital de Berlin d’embolie pulmonaire et d’un excès de liquide dans le cerveau.
En France, les autorités commencent à réagir, mais la descente de police menée à Aubervilliers dans le cabinet du cheikh Hassan Bounamcha, un imam controversé d’Aubervilliers, a eu un effet retentissant dans le milieu et a amené certains praticiens à se montrer plus discrets. Pour exercer leur activité, ils n’ont pas hésité à faire disparaître le mot « saignées » de leurs sites pour le remplacer par « grattements », « picotements ». D’autres ont fermé leur cabinet, mais consultent officieusement en arrièreboutique. Enfin, des entreprises plus modestes, non déclarées, dont les coordonnées sont échangées en catimini, ne communiquent les lieux de rendez-vous qu’au dernier moment.
Quant à la perquisition au cabinet du cheikh Hassan Bounamcha, si le principal intéressé a été relaxé, sa compagne a écopé de six mois de prison avec sursis, pour pratique illégale de la médecine et blanchiment d’argent.
(Sources : Abc News, 28.04.2020, 20 Minutes, 30.05.2020, Le Parisien, 01.06.2020)
1- La sunna regroupe les règles de Dieu.
2- Docteur en science politique et chercheur au CNRS.