Épidémie de Fake news et de théories complotistes sur les réseaux sociaux

Depuis l’apparition du Covid 19, les théories du complot et les fake news pullulent sur Internet et se répandent comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux, en particulier depuis que de nombreux États ont appelé au confinement de leur population. Consciente qu’elles pourraient entraver les efforts mis en œuvre pour lutter contre le Covid-19, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) lance l’alerte et met en garde contre les effets néfastes de ce qu’elle appelle une « infodémie massive». Cette épidémie de fausses informations est d’autant plus préoccupante que « les illuminés ou les irresponsables qui les répandent constituent parfois la première source d’information de certains auditeurs. »

 (Cet article est issu du Hors-série des Actualités de l’Unadfi // Spécial Covid-19 paru le 31 mars 2020. Consulter le dossier complet  : https://www.unadfi.org/aide-aux-victimes/demander-de-laide/actualites-communiques/hors-serie-actualites-de-lunadfi-special-covid-19/ )

Selon Sebastian Dieguez, psychologue à l’université de Fribourg en Suisse et auteur de Total bullshit ! Au cœur de la post-vérité, l’origine obscure du Covid 19 se prête bien aux théories complotistes. Comparant le phénomène à celui de la xénophobie, le psychologue explique que face à l’inconnu, une sorte de « système immunitaire comportemental » se met en place pour trouver une explication et un responsable. En trouvant des causes délibérées aux événements même naturels, « le complotisme permet de reprendre la main sur un monde complexe qui nous échappe » ajoute-t-il.

Si jusqu’ici les fake news menaçaient la démocratie, elles risquent aujourd’hui d’être mortelles. En effet, la propagation des fausses informations souvent corrélées avec une méfiance à l’égard des pouvoirs publics peut amener des personnes à minimiser le danger de l’épidémie, voire à ignorer les recommandations sanitaires pour la contenir.

Face au flot d’informations faire le tri entre les vraies et les fausses est difficile. Selon une enquête menée par le Reuters Institut d’Oxford dans 75 pays, 55 % des personnes interrogées ont avoué avoir des difficultés à faire la distinction entre fake news et informations provenant de sources fiables

Si Facebook affirme avoir réduit de 80 % le nombre des publications complotistes sur sa plateforme, il n’en demeure pas moins qu’avec ses 2,5 milliards d’abonnés, il reste un énorme vecteur de propagation de Fake news. Quant à Twitter, il n’est pas en reste, entre le 20 janvier et le 10 février, alors que l’épidémie n’était même pas encore sortie de Chine, près de 2 millions de tweets colportant de fausses informations sur le coronavirus ont été repérées par le Gobal Engagement Center1 , soit 7 tweets sur 100.

Face à cette épidémie de fausses nouvelles, l’OMS, les pouvoirs publics de différents pays et les plateformes internet (réseaux sociaux et e-commerce) se sont associés pour combattre ce fléau. Les géants du web ont annoncé qu’ils allaient davantage lutter contre « l’infox » en supprimant des fake news signalées par l’OMS, et en mettant en avant les contenus issus de sources officielles.

Mais il semble qu’un réseau social échappe à tout contrôle. Il s’agit de la messagerie cryptée Whatsapp qui semble devenue, en cette période de confinement, l’un des principaux vecteurs de « l’infodémie ».

Les remèdes fantaisistes

L’Unadfi, qui en février avait déjà lancé l’alerte sur le danger des cures miracles contre le coronavirus2 revient, dans ce numéro spécial, sur cette problématique. En effet les conseils pseudo médicaux prodigués sur les réseaux sociaux peuvent mettre en danger ceux qui les suivent, en leur laissant penser qu’ils sont immunisés ou en causant des dommages à leur santé bien plus graves pouvant aller jusqu’à la mort. Ainsi, en Iran, 120 personnes sont mortes après avoir ingéré du méthanol, censé les protéger contre le virus.

Depuis le début de l’épidémie, le nombre de thérapeutes auto proclamés a explosé sur internet. Même des actrices ont proposé leur recette phytothérapeutique pour résister au virus. Parmi les conseils partagés sur les réseaux sociaux pour renforcer son immunité on trouve des recettes à bases de plantes, mais aussi d’autres méthodes pour le moins farfelues, comme « se laver les mains avec de l’urine d’enfant, appliquer de l’huile de sésame sur son corps ou consommer du cannabis. »

Même l’ambassade de Chine en France a publié le 24 mars sur son fil Twitter une liste de six médicaments issus de la pharmacopée traditionnelle chinoise.

Alex Jones, le fondateur du site Infowars, grand propagateur de théorie complotistes a, quant à lui, fait la promotion d’un dentifrice capable de tuer le virus !

Les opposants aux vaccins sont aussi très actifs. Anticipant une future campagne de vaccination, ils propagent des théories complotistes sur l’industrie pharmaceutique et proposent, à l’image du professeur Joyeux sur son site internet, une multitude de conseils comme l’absorption de liquides très chauds pour tuer le virus. Parmi les réfractaires à la vaccination, figure aussi Thierry Casasnovas qui a réalisé plusieurs vidéos sur le coronavirus, dont une en live le 25 mars. Sur la première mise ne ligne le 31 janvier, il nie la gravité du virus et recommande le jeûne pour l’éviter, et affirme : « Si j’étais ministre de la Santé moi, ce serait réglé rapido : bain froid et jeûne pour tout le monde, un petit peu de jus de carotte et vas-y que je t’envoie ». Dans une autre, partagée sur le site d’extrême droite Égalité et Réconciliation, il se met en scène à côté de l’extracteur de jus qu’il vend sur son site Régénère pour parler « renforcement de l’immunité ».

Les faux communiqués et les avertissements

Depuis quelques semaines se propagent aussi des avertissements qui seraient issus d’une source fiable tel qu’un médecin du CHU ou provenant d’une relation amicale qui connaîtrait un membre bien placé du gouvernement. Ces messages demandent toujours de partager un maximum.

Les théories conspirationnistes

Conspiracy Watch, qui étudie le phénomène conspirationniste, s’est lancé dans une cartographie des théories conspirationnistes sur le Covid 19 à l’échelle mondiale3.

Depuis le début de la crise du Covid 19, plusieurs personnalités politiques ont donné leur propre interprétation de la crise, souvent en la minimisant. Pour Jair Bolsonaro, le président du Brésil, la pandémie est « une petite hystérie » orchestrée par la gauche, un « comunavirus » selon ses partisans. Tandis que Zhao Lijian, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, s’appuyant sur un site conspirationniste canadien, affirme que le Covid aurait été introduit en Chine par l’armée américaine. Aux États-Unis, le sénateur républicain Tom Cotton suggère que le virus aurait été fabriqué dans un laboratoire à Wuhan en Chine. Comme lui, nombre de conspirationnistes pensent que le virus a volontairement été créé par l’homme dans le but de diminuer la population mondiale ou pour enrichir « big pharma ». Ainsi deux articles du Washington Times, journal lié à l’Église de l’Unification, laissent entendre que le virus a été créé en laboratoire dans le cadre d’un programme secret d’arme biologique.

A chaque crise, on assiste au retour du complot juif. En France c’est Alain Mondinot, du Rassemblement national, qui a relayé sur sa page Facebook une vidéo intitulée « Coronavirus for Goy », dont le contenu clairement antisémite sous-entend que les juifs seraient à l’origine de la pandémie. L’ancien humoriste, Dieudonné M’Bala M’Bala, prétend, pour sa part, que les Rothschild auraient « commandité une « propagande de terreur » autour du virus afin de remplir leurs propres caisses. »

Le site internet new age Elishean spécule sur le fait que le milliardaire Georges Soros, souvent cible de théories conspirationnistes antisémites, aurait investi des fonds dans un laboratoire de Wuhan au sein duquel serait conçues des armes biologiques.

Pour d’autres la médiatisation du virus cacherait surtout des intérêts économiques. Ainsi la naturopathe Irène Grosjean, qui a rebaptisé le virus « connarovirus », allègue que « les laboratoires pharmaceutiques et les industries agro-alimentaires profiteraient de la panique pour vendre des vaccins et pousser à la consommation ». De son côté, Mika Denissot, un coach en développement personnel, explique dans une vidéo intitulée « Coronavirus – Effondrement économique et enfumage médiatique » que le virus ne serait pas mortel, mais serait un leurre pour cacher une crise économique majeure.

Plus dangereux encore, certains vont jusqu’à nier son existence, comme le complotiste Laurent Glauzy qui a écrit sur son blog que « l’élite sataniste qui nous dirige a un plan : faire de l’Europe un continent tiers-mondiste ».

Dans la même veine, Dominique Guillet, fondateur de l’association Kokopelli, publie sur son blog, sous son pseudonyme Xochi, de longs articles dans lesquels il explique que l’épidémie de Covid n’existerait pas. Ce serait une machination orchestrée par « la Fondation Bill Gates, par la Fondation Rockefeller, par Microsoft, par le Forum de Davos et surtout par GAVI – the Vaccine Alliance » pour lancer « une campagne de vaccination universelle assortie d’un puçage électronique ».

Une autre catégorie des complotistes, qualifiés d’herméneutiques par la journaliste du Point, Géraldine Woessner, se fait fort d’interpréter la pandémie comme une punition infligée à l’humanité en raison de ses mauvais comportements. Si pour la majorité d’entre eux, cette punition relève du divin, pour d’autres il s’agit d’une réponse de la Terre à l’exploitation de ses ressources naturelles. Ainsi le mouvement Nous voulons des coquelicots, proche des Colibris de Pierre Rabhi, a dressé un parallèle entre le coronavirus et « l’expansion sans fin des pesticides chimiques. » Tandis que l’écologiste Nicolas Hulot parle, lui, de message de la nature. Oubliant que ce désastre sanitaire est simplement issu de l’absence de règles sanitaires sur les marchés d’animaux en Chine, ils clament que c’est le « modèle capitaliste » qui accompagne les mouvements de concentration urbaine et « la destruction des habitats naturels » qui auraient favorisé la crise ».

La catégorie de complotistes plutôt proches des courant new age et anti-vaccination attribue la pandémie à l’essor mondial de la 5 G qui engendrerait des champs électromagnétiques nuisibles. Cette théorie est entretenue, entre autres, par David Icke ou le courant anthroposophique. A la fois spirite, channel et tenant du complot reptilien, l’anglais David Icke prétend que la 5G aurait été utilisée pour ouvrir la peau des habitants de Wuhan afin de permettre au coronavirus de pénétrer dans leur corps.

Une autre vidéo publiée le 12 mars 2020 est rapidement devenue virale sur internet. Enregistrée lors du « Health & Human Rights Summit »4 qui s’est tenu à le 10 mars 2020 à Tucson dans l’Arizona, elle dévoile l’exposé du Dr Thomas Cowan, ancien vice-président de « l’Association américaine des médecins anthroposophes ». Pour lui, la pandémie a débuté à Wuhan car ce serait à cet endroit que la 5 G aurait été déployée en premier (en réalité d’autres villes l’ont été avant). S’appuyant sur les théories de Rudolf Steiner, évoqué dans la vidéo, il donne l’exemple de la grippe espagnole dont l’apparition coïnciderait avec l’émergence de la radio terrestre. Il explique que les grandes pandémies de l’histoire ont toujours été consécutives de bouleversements du champ électromagnétique terrestre, qui aurait pour conséquence d’empoisonner les cellules humaines. Il ajoute d’ailleurs que les virus n’existent pas, il s’agit des excrétions relâchées par les cellules empoisonnées. C’est pour cela qu’il déconseille fortement les vaccins dont les sels d’aluminium, selon lui, seraient des récepteurs de champs électro-magnétiques.

Médecin controversé qui pratique la « médecine holistique », Thomas Cowan est poursuivi aux États-Unis par les autorités médicales de la Californie, pour avoir prescrit « un médicament non approuvé à une patiente atteinte de cancer du sein ». Dans l’un de ses livres, il conseille aux parents de ne pas faire vacciner leurs enfants. Cette préconisation puise sa source dans les théories anthroposophes qui considèrent que la vaccination est un frein au développement de l’immunité de groupe, les jeunes devant attraper les maladies en premier pour protéger les personnes âgées. Mais pour les anthroposophes, la vaccination risque surtout d’entraver le processus karmique de réincarnation, c’est pourquoi elle est fortement déconseillée aux enfants. Cela explique que les écoles Steiner ont été à plusieurs reprises des foyers épidémiques, notamment pour la rougeole. En outre, les anthroposophes, considèrent que « les épidémies viennent du monde spirituel, et sont décidées par les dieux, […] ce sont des épreuves qu’il faut accepter parce que cela va nous renforcer » explique Grégoire Perra ajoutant que « pour un anthroposophe convaincu, ce n’est pas très grave de mourir, car il y a la réincarnation. »

(Sources : Le Point, 02.03.2020, Jeune Afrique, 05.03.2020, Journal de Québec & Le Soir, 18.03.2020, Ici Radio Canada & L’Express, 23.03.2020, Conspiracy Watch, 26.03.2020, Le Point, 27.03.2020)

1. Le département d’État américain qui lutte contre la propagande étrangère

2. Le danger des cures miracles contre le coronavirus : https://www.unadfi. org/domaines-dinfiltration/sante-etbien-etre/le-danger-des-cures-miraclescontre-le-coronavirus/

3. https://www.conspiracywatch.info/ la-carte-des-theories-du-complot-surle-coronavirus.html

4. Parmi les autres invités de cette conférence, figurait Andrew Wakefield un fer de lance du mouvement antivaccination qui aurait fait le lien entre l’autisme et le vaccin contre la rougeole. Je ne suis pas sûre d’avoir vu le renvoi à cette note dans le texte ?

Une info qui méritait d’être approfondie

Le 26 mars, France Info diffusait des extraits d’une vidéo vue plus de 250 000 fois sur YouTube vantant les vertus médicinales de l’ail et de l’oignon pour lutter contre le Covid-19. L’auteur de cette vidéo, dont la chaine d’info a préféré taire le nom, est un ancien cardiologue devenu homéopathe.

Devant la potentielle dangerosité de cette vidéo, l’Unadfi a souhaité savoir qui se cachait derrière ce praticien en blouse blanche… Cet ancien interne des Hôpitaux de Paris s’appelle Pascal Trotta. D’autres passages de cette vidéo1
postée le 18 mars 2020 ont retenu notre attention :

– Dès le début, il évoque le nombre de morts liés au covid-19 expliquant que ce n’est rien et que l’Etat en fait trop.

– A 7,02 minutes, c’est la rubrique recettes de grand-mère : grog, miel, cognac et bien sûr ail et oignon…

– A 12,41 minutes : recommandation de l’homéopathie qu’il préconise dans les traitements pour lutter contre les épidémies en général et le choléra en particulier.

– A 13,34 minutes : publicité pour son ouvrage sur de « nutrition-santé »

– Un peu plus tard, il défend ardemment sur un ton complotiste les docteurs Geffard et Fourtillan et dit ne pas comprendre que l’Etat ait fermé leurs laboratoires.

– Le générique de fin est également publicitaire car il y vante toutes ses nouvelles « spécialités ».

Pascal Trotta est à la tête d’un Institut éponyme basé à San Sebastian, en Espagne. On le retrouve également sur des sites anti-vaccination2 et complotiste3 . Il utilise trois pratiques de soins non conventionnelles : l’acupuncture auriculaire, l’endo-bio-thérapie et les ondes scalaires. Il est également à la tête du laboratoire Nutritional Dr Trotta fabriquant des produits et compléments naturels mis au point par le Docteur en personne.

1. https://www.youtube.com/watch?v=C1dnrWeyQtw

2.https://www.alis-france.com/les-vaccins-ne-sont-pas-du-tout-anodinsdocteur-pascal-trotta

3. https://www.pressenza.com/fr/

  • Auteur : UNADFI