L’année 2015 a marqué un tournant dans la propagation des théories du complot et ce glissement sociétal préoccupe nombre de chercheurs ou de vulgarisateurs ; le journalisme a même dû inventer le métier de « chasseur de fake news ». Pourquoi certains croient-ils obstinément à de fausses croyances ? Les médias sociaux en sont-ils les principaux responsables ou l’homme n’est-il pas naturellement « prêt à croire » ? Nicolas Gauvrit, mathématicien et psychologue spécialisé en sciences cognitives, a tenté de répondre à ces questions dans un ouvrage collectif dont il est le co-directeur, Des Têtes bien faites, défense de l’esprit critique.
Depuis 20 ans, la zététique étudie de façon rationnelle des phénomènes présentés comme paranormaux, des pseudosciences ou autres curieuses thérapies. Pour Nicolas Gauvrit, seul l’esprit critique nous permet de distinguer le rationnel de l’irrationnel. L’esprit critique, « l’esprit rationnel, le rationalisme, l’art du doute, l’autodéfense intellectuelle », c’est la capacité à raisonner de manière autonome et consciente, par opposition à l’intuition.
L’adhésion aux fausses informations trouve différentes explications. Premièrement, le flux d’informations, devenu trop important pour en vérifier la crédibilité, mène à les considérer de façon intuitive et émotionnelle. Deuxièmement, Internet est truffé de mensonges : les infox ou fake news, plus nombreux sur le Web que dans la vraie vie, devraient susciter bien plus de méfiance et de vigilance car c’est leur exposition récurrente, possible grâce à Internet, qui les rend crédibles. Toute initiative des médias sociaux visant à réduire cette surexposition est donc intéressante et louable.
Cependant, croire en quelque chose dépend du niveau de confiance que l’on accorde à celui qui livre l’information et pour encourager l’esprit critique, il faut prendre garde de ne pas utiliser des arguments d’autorité.
Nicolas Gauvrit a longtemps pensé que les complotistes étaient d’invétérés irrationnels avant de constater que l’on peut « arriver à un esprit conspirationniste en raisonnant (…), en partant simplement de l’idée qu’il y a beaucoup de complots dans le monde ».
Partant de ces fausses croyances « les gens peuvent avoir des comportements dangereux pour eux et pour la société ». L’exemple édifiant est celui du complot antivaccination, qui conduit des parents à mettre leurs enfants et les autres en danger. Selon la même logique, le climatosceptique ne va pas prendre les mesures nécessaires pour éviter une catastrophe.
Pour pallier ces comportements, les scientifiques donnent des explications détaillées comprenant la part de vérité de la théorie complotiste et contribuent ainsi sans le vouloir à alimenter l’idée du complot. Tali Sharot, chercheuse en neuropsychologie à l’Université College de Londres, a cherché à vérifier cette observation dans le cadre d’une étude : les personnes qui ne croyaient pas à la théorie du complot (climatoscepticisme) ont été rassurées par les informations données par les scientifiques, mais ceux qui y croyaient fortement les ont trouvées pessimistes et étaient encore plus convaincus.
Reste à motiver les contributeurs non complotistes afin que les versions officielles soient au moins aussi présentes sur le Net que les théories fumeuses.
(Source : Usbek & Rica, 03.02.2019)