La place de la violence dans le complotisme

Le journaliste Thibaut Schepman s’est plongé pour Les Jours dans le contenu vidéo de Martial L., l’homme qui a tué d’une balle dans la tête un jeune Français d’origine espagnole et marocaine le mois dernier. Ce qu’il a visionné montre selon lui que Martial L. n’avait fait que suivre un itinéraire tout tracé et déjà emprunté par certains, partant du conspirationnisme pour aboutir à l’acte violent. 

Le fondateur du site Fdesouche ne considère pas Martial L. comme partisan des idées d’extrême droite : « Le tueur qu’on nous présente comme un mec d’extrême droite est surtout un complotiste pro-islamiste antisémite ». Du côté de Boulevard Voltaire, on voit en Martial L. un « déséquilibré complotiste » au « profil pour le moins atypique ». À première vue, Martial L. est un personnage aux opinions variées. Il est convaincu que les attentats que la France a connus en 2015 ont été menés par les services secrets israéliens. Il a aussi des croyances d’ordre ésotérique, mentionnant dans ses vidéos qu’il cultive l’artemisia, une plante médicinale qui se boit sous forme d’infusion, produit miracle encensé par une certaine frange complotiste. Il s’était fait un nom après un passage remarqué dans l’émission TPMP, où il avait crié depuis le public des propos virulents à l’encontre d’un médecin présent sur le plateau. Thibaut Schepman voit derrière cet apparent méli-mélo un « ensemble idéologique » et pour lui le cas de Martial L. est analogue à bien d’autres cas de passages à l’acte violents perpétrés par des complotistes affiliés à ce même ensemble idéologique. Il cite le cas de Frederik Limol, un homme qui avait tué trois gendarmes en décembre 2020 dans le Puy-de-Dôme après avoir visionné pendant des heures des vidéos s’attachant à prouver que l’élection américaine avait été truquée. Cet homme refusait que sa fille se fasse vacciner contre le Covid-19. Il cite un autre cas, celui de Valentin Marcone, qui avait tué son patron ainsi que son collègue en 2021 dans le Gard, et qui était également anti-vaccin, persuadé que la pandémie et la campagne de vaccination servaient à enrichir les élites et le gouvernement. D’autres exemples  montrent une corrélation entre idéologie d’extrême droite, croyances ésotériques et pensée violente : Rémy Daillet, qui défend à la fois des idées néonazies et la thèse d’un complot derrière les antennes 5G ; l’enlèvement de l’infectiologue Christophe Berger en mars dernier par un ravisseur complotiste et anti-vaccin ; la mort en mars dernier de toute une famille dont les membres avaient sauté par-dessus le balcon de leur appartement, probablement à la suite d’une dérive conspirationniste selon les premiers éléments de l’enquête ; enfin, les attentats de Christchurch en Nouvelle-Zélande en 2019 ainsi que ceux de Buffalo aux Etats-Unis au mois de mai dernier, perpétrés par des complotistes revendiquant leur adhésion à la théorie du grand remplacement.

Le journaliste s’interroge sur la présence dans le même esprit d’un certain rapport à la violence et d’une croyance dans les vertus des traitements à base de produits dits naturels. Il cite l’historienne Marie Peltier, qui rappelle la double articulation de l’idéologie d’extrême droite : « l’extrême droite fonctionne toujours en s’appuyant sur deux boutons sémantiques : d’une part une pensée antisystème, c’est-à-dire “on nous ment, on nous manipule” ; et d’autre part un registre civilisationnel, c’est-à-dire “il y a des êtres naturellement purs et des êtres naturellement moins purs” ». Ainsi la morale, l’éthique et la transparence se confondent avec une certaine idée de la pureté. A quel moment surgit la violence dans tout cela ? Pour Valérie Igounet, historienne spécialiste du négationnisme, la violence est constitutive de la machine complotiste : « quand on passe du temps à écouter les personnalités complotistes, on constate que leurs idées reposent sur un socle de défiance généralisée mais aussi de haine et d’ultra violence.  Je ne suis donc pas d’accord avec le vocabulaire parfois utilisé pour les désigner comme “théories alternatives”. Ce sont plutôt des idéologies dangereuses. » Et de rappeler que les services secrets français restent en alerte concernant les risques de passages à l’acte violents liés au complotisme. 

(Source : lesjours.fr, 23.06.2022)

  • Auteur : Unadfi