Hold-up : la stratégie d’un film complotiste

Mis en ligne le 11 novembre 2020, le film Hold-up, retour sur un chaos de Pierre Barnérias a eu un fort écho médiatique. Ce film conspirationniste souhaite dénoncer les mesures prises en France et dans le monde contre la Covid-19 et avance l’idée d’un complot orchestré par le pouvoir ayant pour but le contrôle des populations. Truffé de fausses informations, ce long métrage de 2h43 utilise une stratégie spécifique afin de propager ses idées et de trouver un écho important auprès de la population malgré mensonges et incohérences. Explications.

Le financement du projet

Ce film a vu le jour grâce à un financement participatif des internautes via différentes plateformes. Pour Sylvain Delouvée, chercheur en psychologie sociale spécialiste des croyances collectives, des rumeurs et des théories du complot, les créateurs ont utilisé des leviers similaires à ceux de campagnes caritatives légitimes, soulignant notamment que chaque somme compte. Ils ont joué sur un lien de proximité, sur la création d’une communauté qui allait permettre la révélation de ce que personne n’ose dire.

Les plateformes de financement participatif ont, une fois le film sorti, pris leurs distances, critiquant son caractère complotiste et rappelant que leurs dirigeants n’avaient pas vu la version finale au moment où ils effectuaient les modérations des projets pouvant bénéficier d’un financement. L’un d’eux affirme n’avoir pu disposer que d’une courte description du projet qui semblait juste une critique de la gestion gouvernementale et non un film complotiste.

Outre son financement en amont, le film va aussi générer des recettes notamment par sa vente. Pour Sylvain Delouvée, cela démontre que ce film est un véritable business, les réalisateurs s’éloignant ainsi de leur posture auto-proclamée de lanceurs d’alerte. Ces derniers en effet font souvent de la gratuité un élément essentiel pour la diffusion de leurs découvertes.

La stratégie du film

Le film est typique de la pensée complotiste dans le sens où il mêle vrai et faux, le réalisateur mélange ainsi des controverses légitimes et des questionnements sensés sur la gestion de crise à des mensonges et des inepties sans fondements scientifiques. Un autre exemple de cette technique concerne les différentes personnes interrogées dans le documentaire. On y retrouve un mélange de personnes apportant une caution scientifique, politique et intellectuelle (parfois discutable cependant) à des personnes proches de mouvements sectaires et connus pour des positions scientifiques vivement critiquées. Pour Sébastien Dieguez, chercheur en neurosciences au Laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’Université de Fribourg, la prétendue autorité scientifique de chacun des différents experts peut être remise en question.

Le réalisateur utilise aussi la technique qualifiée par Gerald Bronner de « millefeuille argumentatif ». Ce procédé permet d’empiler des arguments pour donner l’impression d’un ensemble cohérent et ne pas laisser au spectateur le temps de réfléchir. Le film agrège un grand nombre de théories du complot différentes ce qui permet de regrouper des profils différents : inutilité du masque, théorie anti-vaccination, gouvernement mondial qui cherche à contrôler les populations, liens avec la 5G, controverse sur l’hydroxychloroquine… Les spectateurs peuvent être séduits par l’une ou plusieurs de ces approches alors qu’ils n’en n’avaient pas forcément connaissance auparavant. Un spectateur même sans penchant complotiste peut alors être conduit à douter. Les théories sont amenées progressivement, créant une escalade d’engagement alors que présentées clairement et frontalement elles auraient subi un rejet. Le film utilise le procédé rhétorique d’appel au bon sens ce qui selon Sylvain Delouvée permet de pas avoir à prouver quelque chose mais juste à l’énoncer comme évident pour chacun.

En regardant un tel film le spectateur peut avoir l’impression de faire un travail personnel de décryptage d’un sujet grave. Il peut alors être emporté par ses émotions et pense avoir compris le complot par lui-même alors que tout ne résulte que d’un choix précis des éléments qui lui ont été apportés par le film.

La technique de réalisation de ce film contribue aussi à brouiller les pistes. En effet il utilise les codes du journalisme d’investigation connus du grand public tentant ainsi de s’éloigner du ton agressif des vidéos complotistes. Cependant, explique Sylvain Delouvée, ce long métrage n’est pas un documentaire mais bien un film, une fiction.

Avec l’ensemble des théories, des procédés et des protagonistes présents dans le film, le réalisateur vise la fabrique d’une réalité alternative bien loin de la réalité sanitaire mondiale.

Le partage et la diffusion

A sa sortie le film a été largement relayé sur les réseaux sociaux. Pour Sylvain Delouvée les réseaux permettent de créer des communautés qui répondent à nos besoins de similitudes et la possibilité d’entrer en contact avec des gens qui partagent nos croyances. Avec le soutien de certaines personnalités, le film a dépassé les réseaux habituels de la sphère complotiste pour toucher le grand public.

Retiré de certaines plateformes il réapparait sur d’autres et de nombreux extraits circulent sur Instagram, Snapchat ou encore WhatsApp.

Dans cette période complexe et incertaine ce pseudo-documentaire prétendant apporter des réponses peut séduire les individus en perte de repères qui sont souvent plus perméables à des théories alternatives.

Ce film a polarisé l’opinion avec d’un côté ceux qui défendent les révélations et invitent à une prise de conscience et une rébellion, et de l’autre ceux qui y voient un document purement complotiste avec des intervenants peu fiables ou très discutables.

Les protagonistes

Hold-up regroupe une trentaine d’intervenants issus de différents horizons professionnels.

Pierre Barnérias, le réalisateur du film est aussi le propriétaire d’une chaine YouTube consacrée à l’au-delà mais consacrée depuis mars à la Covid-19 et allant dans le sens des thèses qu’il développe dans Hold-up.

Le film se pare de cautions scientifiques avec des personnalités au pedigree ou aux fonctions importantes mais fortement controversés. On y retrouve par exemple Jean Bernard Fourtillan, ex-pharmacien anti-vax proche du professeur Henri Joyeux impliqué dans l’affaire du Fonds Josefa.1 Mais aussi Pascal Trotta2, cet ex-interne des hôpitaux de Paris qui se présente comme homéopathe, acupuncteur auriculaire et nutritionniste (il avait au début de l’épidémie vanté les vertus de l’ail et de l’oignon dans la lutte contre la Covid-19).

On retrouve aussi un grand nombre de partisan de l’hydroxychoroquine tel que Luigi Cavana (chef du service d’oncologie et d’hématologie de l’hôpital de Piacenza, en Italie), Violaine Guérin (endocrinologue), ou encore Astrid Stuckelberger, scientifique chercheuse rattachée à l’université de médecine de Genève et formatrice en naturopathie. Ayant
montré les aberrations des théories de ce film, certains pointent du doigt la contradiction d’y voir des défenseurs de l’hydroxychoroquine. En effet, le film tentant de minimiser la dangerosité du virus tout en faisant la promotion d’un médicament qui pourrait le soigner.

Parmi les autres intervenants on retrouve le prix Nobel de médecine Luc Montagnier fortement critiqué depuis quelques années par la communauté scientifique, Xavier Azalbert le propriétaire du site francesoir.fr qui publie régulièrement des articles sur la gestion gouvernementale de la pandémie et sur l’efficacité de l’hydroxychoroquine, l’infectiologue Christian Perronne, chef de service à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, qui dispense sur les plateaux de télévision et les radios des informations fausses et trompeuses sur le début de l’épidémie. Christian Perronne est signataire d’une tribune qui critique la dérive de la politique sanitaire du gouvernement français, tribune censurée par plusieurs médias mais publiée par le site France Soir.

On retrouve aussi Jean-Jacques Crèvecoeur qui bien qu’absent du film est cité et remercié à la fin en tant que « lanceur d’alerte ».

Le debunkage

Sur le fond du film et son argumentation beaucoup d’organes de presse ont effectué des exercices importants de « debunkage » et de « fact checking » pour dénoncer les nombreuses fausses informations qu’il contient. Ces analyses auront du mal à convaincre les personnes enfermées dans leurs croyances mais pourront aider à réfléchir ceux qui se questionnent sur ce film et les théories qui y sont dévoilées. Ces exercices permettent aussi de ne pas laisser le champ libre à la propagation des théories complotistes.
Avec cependant le risque de l’effet Streisand qui stipule que toute tentative de censure produit un effet inverse à celui recherché. Parler de ce film même pour démontrer la fausseté de ses arguments attire l’attention dessus et le fait connaitre à un plus grand nombre de personnes.

(Sources : AFP Factuel, 13.11.2020 & Heidi,13.11.2020 & TV5 Monde, 13.11.2020 & Télérama, 13.11.2020 & France 24, 17.11.2020)

1- Lire sur le site de l’Unadfi, Le professeur Joyeux, impliqué dans un essai clinique illégal ? : https://www.unadfi.org/domaines-dinfiltration/sante-et-bien-etre/pratiques-non-conventionnelles/le-professeur-joyeux-implique-dans-un-essai-clinique-illegal/ 

2- Lire sur le site de l’Unadfi, Épidémie de Fake news et de théories complotistes sur les réseaux sociaux : https://www.unadfi.org/domaines-dinfiltration/sante-et-bien-etre/epidemie-de-fake-news-et-de-theories-complotistes-sur-les-reseaux-sociaux/

Différents articles de fact checking sur Hold-up :

Les contre-vérités de « Hold-up », documentaire à succès qui prétend dévoiler la face cachée de l’épidémie par le journal Le Monde : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/11/12/covid-19-les-contre-verites-de-hold-up-le-documentaire-a-succes-qui-pretend-devoiler-la-face-cachee-de-l-epidemie_6059526_4355770.html

Covid-19 : dix contre-vérités véhiculées par «Hold-up» par le journal Libération :  https://www.liberation.fr/france/2020/11/12/dix-contre-verites-vehiculees-par-hold-up_1805434

« Hold-up » : une vidéo truffée de fausses informations par AFP Factuel : https://factuel.afp.com/hold-une-video-truffee-de-fausses-informations

Hold-up, retour sur un chaos, décryptage du documentaire polémique sur le COVID-19 par TV5 Monde : https://information.tv5monde.com/info/hold-retour-sur-un-chaos-decryptage-du-documentaire-polemique-sur-le-covid-19-383325

 

  • Auteur : Unadfi